Alors que le Québec se déconfine depuis quelques semaines, des centaines de patients hospitalisés en psychiatrie n’ont toujours pas le droit de mettre le nez dehors, même sur un balcon, après deux mois à l’intérieur. D’autres sont enfermés 24 heures sur 24 dans leurs petites chambres, dans des conditions inhumaines, dénoncent des défenseurs des droits des personnes souffrant de problèmes de santé mentale.

« Les autorités ont été extrêmement rapides à enfermer tout le monde en dedans », déplore Jean-François Plouffe, responsable des communications pour l’organisme Action autonomie.

« Ça serait difficile pour n’importe qui d’être enfermé dans une petite chambre pendant 14 jours. Mais pour ceux qui ont un problème de santé mentale, c’est encore pire, il y a un grand risque que leur équilibre émotionnel se dégrade. »

Les sorties et les visites ont été interdites le 13 mars pour tous les patients dans les deux hôpitaux psychiatriques de Montréal, l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal (IUSMM) et l’Institut universitaire en santé mentale Douglas.

Lundi, l’IUSMM a annoncé « un plan de sortie qui se met en place graduellement », et quelques patients ont pu quitter les murs de l’établissement pour la première fois en plus de deux mois, pour 30 minutes. À l’Institut Douglas, on indique « travailler activement sur un plan de déconfinement ».

Enfermés dans leurs chambres

Dans ces deux établissements, des patients ont été confinés dans leurs chambres, parfois pendant plusieurs semaines.

À l’Institut Douglas, tous les patients de l’unité Moe Levin, qui souffrent de troubles cognitifs sévères, sont enfermés dans leurs chambres, parce qu’on craint qu’ils ne soient pas en mesure de respecter les consignes de distanciation et les mesures sanitaires, indique le porte-parole de l’Institut Douglas, Guillaume Bérubé. Plusieurs patients de cette unité de 18 lits ont été contaminés à la COVID-19.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

Institut universitaire en santé mentale Douglas

L’Institut Douglas a aussi été désigné pour recevoir des patients de toute la région de Montréal souffrant de troubles psychiatriques et atteints de la COVID-19 ; une « zone rouge » a donc été aménagée à l’intérieur de l’établissement.

À l’IUSMM, les patients d’au moins quatre unités de soins ont été reclus dans leurs chambres pendant des périodes de 14 jours, selon des informations obtenues par La Presse de sources fiables, parce qu’un patient ou un membre du personnel de ces unités a été atteint de la COVID-19.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Institut universitaire en santé mentale de Montréal

Le CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal, de qui relève l’IUSMM, a cependant refusé de confirmer cette information.

• De 18 à 25
Nombre de patients que contient chaque unité de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal

« Les mêmes mesures de prévention et de contrôle des infections sont appliquées dans l’ensemble de nos installations (CHSLD, CH et IUSMM). Toutes les personnes nouvellement admises sont mises en isolement pour une durée de 14 jours et une évaluation de leurs symptômes est faite quotidiennement. Nos admissions se font donc dans un contexte de précautions maximales », a expliqué, par courriel, Catherine Dion, porte-parole du CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal.

Une vingtaine de patients atteints de la COVID-19 ont été transférés vers l’Institut Douglas, le CHUM ou l’Hôpital général juif après un test de dépistage positif, indique Mme Dion.

« Des paniers de réconfort et des iPad ont été distribués à nos usagers. Ils ont aussi accès à leur téléphone ou au WiFi. Les activités individuelles ont été priorisées, encore une fois afin de limiter la propagation du virus », ajoute-t-elle.

Tous réprimandés

Selon Jean-François Plouffe, les patients des hôpitaux psychiatriques n’auraient même pas dû être privés de sorties. Il cite le décret du gouvernement du Québec du 23 mars dernier, qui stipule que « pour les usagers qui ne sont pas âgés de 70 ans et plus ou qui ne présentent pas de facteurs de risque à la COVID-19 ou ne vivent pas avec des usagers répondant à ces critères […] il est possible de maintenir des marches extérieures, supervisées ou non, selon la condition ou la problématique de l’usager ».

« Ce qu’on a entendu dire, c’est qu’il y a eu des gens au début qui n’ont pas respecté les règles lors des sorties, et à cause de ça, on a réprimandé tous les résidants », déplore-t-il.

« C’est une situation absolument invivable, poursuit-il. Les patients sont victimes d’intimidation, parce que dès qu’ils ne se conforment pas à une consigne, ils subissent des représailles. » 

Ils sont embarrés, d’une façon qui est difficilement compréhensible pour eux, alors qu’on est supposé leur donner des outils pour réintégrer la société.

Jean-François Plouffe, de l’organisme Action autonomie

Jacqueline Chavignot peut témoigner de la détresse de sa fille, hospitalisée depuis plusieurs mois à l’Institut universitaire en santé mentale de Québec (IUSMQ).

« La dernière fois que je lui ai parlé au téléphone, elle pleurait en nous disant : “Je pense que je ne vous reverrai jamais ! Pourquoi les personnes âgées peuvent sortir, que les jeunes retournent à l’école, mais que nous, on n’a pas le droit de sortir ?” Ils ont l’impression d’avoir été oubliés », raconte Mme Chavignot avec émotion.

Elle peut parler au téléphone avec sa fille, mais elle trouve difficile de ne pas la voir depuis deux mois. « On nous a dit qu’il y aurait distribution de tablettes, mais il n’y en a toujours pas, et il n’y a pas d’internet pour les patients, dit-elle. Ils pourraient au moins aménager un parloir dans une salle de l’établissement. Nous sommes prêts à prendre toutes les mesures nécessaires pour éviter la contamination. »

Jacqueline Chavignot s’inquiète aussi de ce que sa fille lui a raconté au sujet des médicaments contre l’anxiété, qui seraient distribués « comme des bonbons ». « Ceux qui ont du mal à se calmer sont menacés d’être envoyés en isolement », dénonce-t-elle.

« Notre fille souffre de ce manque de contacts, et nous aussi. »

Les patients de l’IUSMQ « ont accès à des sorties supervisées dans la cour intérieure ou sur l’une des nombreuses galeries de l’établissement, dans la mesure du possible et selon les situations cliniques », assure un porte-parole de l’établissement, Mathieu Boivin.

Les visites peuvent être « éventuellement autorisées pour des motifs humanitaires », ajoute-t-il.

« Comme en prison »

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Catherine Lauzon

Pendant une semaine, Catherine Lauzon a été enfermée dans une « cellule » glaciale, comme elle décrit sa chambre dans l’aile psychiatrique de l’hôpital Charles-LeMoyne, à Longueuil. Sans toilettes ni eau courante, sans télévision ni autre forme de divertissement.

Pourquoi ? Parce qu’elle était atteinte de la COVID-19 et qu’un psychiatre craignait qu’elle ne respecte pas les consignes de confinement.

« C’était comme en prison, confie Mme Lauzon. Il n’y avait pas de toilettes, juste une bassine avec un sac de plastique. Et pour me laver, une autre bassine avec de l’eau et une éponge. »

La Montréalaise a eu la malchance de contracter la COVID-19 lors de son hospitalisation à l’hôpital de Verdun, où elle s’était rendue pour un hématome à l’œil. Pendant son séjour, en plus d’être contaminée par le fameux virus, elle a aussi appris qu’on avait découvert des cellules cancéreuses dans son foie.

Ces épreuves l’ont affectée psychologiquement. Quand elle a rencontré un psychiatre, elle a souligné qu’elle n’avait pas de symptômes de la COVID-19. Elle a aussi demandé si elle pourrait fumer à l’extérieur, malgré la quarantaine de 14 jours à respecter.

« Ç’a été interprété comme si elle niait être infectée, et qu’elle ne voulait pas rester confinée », avance son conjoint, Guy Dumais.

Le psychiatre a obtenu une ordonnance pour que Mme Lauzon soit gardée sous surveillance. Son conjoint était d’accord, avant de savoir dans quelles conditions elle se retrouverait.

Livre à colorier

Enfermée dans sa petite chambre, coupée du monde, inquiète pour sa santé, Catherine Lauzon a passé des moments extrêmement difficiles, confie-t-elle. Quand elle a demandé quelque chose pour se divertir, on lui a apporté un livre à colorier.

« Il faisait extrêmement froid, dit-elle. Je pouvais seulement dormir. Et parler à mon conjoint, quand j’ai récupéré mon cellulaire. Mais je n’avais rien pour le charger. »

Pour libérer la patiente, les autorités exigeaient deux résultats négatifs consécutifs à des tests de dépistage.

Or, Mme Lauzon a été testée huit fois en 26 jours, obtenant cinq résultats positifs et trois négatifs.

La Santé publique a autorisé la patiente à sortir quand même, après près d’un mois.

Combien sont-ils dans cette situation cul-de-sac protocolaire médicale, dans l’impossibilité de sortir du système ?

Guy Dumais, conjoint de Catherine Lauzon

Les conditions auxquelles Mme Lauzon a été soumise sont-elles normales et fréquentes ?

Une porte-parole de l’hôpital Charles-LeMoyne a répondu par courriel qu’« environ 50 patients ont été hospitalisés dans ces chambres depuis le mois de mars, certains pour une journée en attente d’un résultat, d’autres pour une durée d’une à deux semaines, parce qu’ils étaient atteints de la COVID ou en isolement préventif ».

« Dans l’aile dédiée, les salles de bains, qui étaient utilisées par plus d’un patient, ont dû être condamnées temporairement pour éviter la propagation du virus et assurer la santé et la sécurité de tous. Des toilettes d’aisance et des bassines d’eau ont été mises à la disposition des patients dans les 11 chambres individuelles de l’unité, » explique Sara-Eve Tremblay.

Les chambres ne sont pas équipées de télévision « pour des raisons de sécurité », dit-elle. Les patients ont accès à des livres et des revues. Comme les visites sont toujours interdites, « des tablettes électroniques et des téléphones sans fil seront rendus disponibles pour les patients au cours des prochains jours afin qu’ils puissent rester en contact avec leurs proches ».