Ils n’ont pas vu fondre la neige. Ils n’ont pas vu fleurir les arbres, ni le retour des outardes. Ils n’ont pas senti les rayons du soleil sur leur peau depuis dix longues, interminables semaines.

Ils étaient confinés dans leur chambre, sans la moindre possibilité d’en sortir.

Ils le sont toujours.

Pendant qu’on jase piscine et barbecue, pendant qu’on se déconfine le bout du nez, ils continuent à purger leur peine à durée indéterminée, entourés d’inconnus masqués, gentils mais pressés, toujours pressés.

Ils ont vu mourir leurs voisins de chambre. Ils ont peur de mourir, eux aussi. Ils ne voient plus leurs enfants. Ils n’ont plus droit au bain. Les inconnus masqués les lavent à la débarbouillette, presque à la sauvette.

Ils ne comprennent pas ce qui se passe.

Ils dépérissent.

Et comme si ce n’était pas assez, voilà que ces milliers de personnes âgées parmi les plus vulnérables du Québec doivent faire face à une vague de chaleur épouvantable.

C’est la goutte (de sueur) de trop.

La canicule se poursuivra jusqu’à vendredi et battra tous les records, prédit-on. Dans les CHSLD, les zones chaudes deviendront brûlantes. Infernales.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Moins du tiers des chambres des CHSLD du Québec sont climatisées.

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Moins du tiers des chambres des CHSLD du Québec sont climatisées. Comment soulager leurs occupants au cours des prochains jours ?

En étant « extrêmement agile », a dit la ministre responsable des Aînés, Marguerite Blais. En faisant de la « gymnastique », a renchéri sa collègue à la Santé, Danielle McCann.

Je ne sais pas pour vous, mais j’ai comme un doute. Un système que l’on dit obèse et sclérosé peut-il s’adonner à la gymnastique avec une extrême agilité ? Le paquebot peut-il se retourner sur un dix cents ?

Même la ministre Blais ne semble pas trop y croire. « Je ne veux pas créer trop d’espoir », a-t-elle confié dimanche à Radio-Canada.

Le gouvernement a été pris de court par cette vague de chaleur au mois de mai. « Ce n’est quand même pas très fréquent », a plaidé la ministre McCann.

C’est plutôt rare, c’est vrai. Ce n’en est pas moins prévisible. 

En avril, un installateur de climatiseurs a même tenté d’alerter le réseau de la santé. Il espérait qu’on accélère la pose d’appareils, ont appris mes collègues.

Il n’a pas réussi à faire bouger le paquebot d’un iota.

Lisez le reportage de La Presse

Si personne ne pouvait prédire une canicule aussi tôt dans l’année, personne ne pouvait non plus ignorer qu’une canicule finirait par frapper. Ça arrive tous les étés.

Et tous les étés, des personnes âgées meurent de chaleur dans l’inconfort de leur propre chambre, dans des établissements souvent trop vétustes pour qu’on puisse y brancher l’air conditionné.

Parlez-moi d’une belle reconnaissance pour ceux qui ont bâti le Québec.

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À défaut de pouvoir climatiser les chambres, on a climatisé quelques pièces communes dans les CHSLD. On les appelle les « zones fraîcheur », a expliqué lundi François Legault. « Cela suppose de prendre des résidants dans leur chambre et de les amener dans ces zones-là. »

Avec la pandémie, c’est une bien grosse supposition.

Les pièces communes ne sont plus accessibles. Les gestionnaires peinent à faire respecter les zones froides et les zones chaudes. Ils isolent les résidants 24 heures sur 24 pour éviter la propagation du virus.

Tout d’un coup, ils devraient rassembler tout ce beau monde dans une seule et même pièce climatisée ? Ça me semble irréaliste, dans le contexte.

Mais sinon, comment faire ?

Lundi, en point de presse, le Dr Horacio Arruda a déclaré qu’une « directive » serait envoyée aux PDG de CIUSSS et de CISSS pour leur donner la marche à suivre.

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Tout le monde l'attendait avec impatience, cette directive. Surtout les résidants qui s’étaient vu refuser le droit de poser un climatiseur à leur fenêtre, ou même un banal ventilateur dans un coin de leur chambre, pour des raisons de sécurité…

La directive est enfin tombée mardi après-midi : le Dr Arruda a donné le feu vert aux climatiseurs et aux ventilateurs dans les CHSLD.

Énorme soupir de soulagement.

Lundi encore, c’était loin d’être aussi clair.

Dans un avis publié en fin de journée, l’Institut national de santé publique admettait ne pas savoir si ces appareils contribuaient à la propagation du virus.

On semblait alors dire aux gestionnaires des CHSLD de décider par eux-mêmes s’il valait mieux que les résidants crèvent de chaud en toute sécurité… ou risquent d’attraper un virus mortel en tout confort.

On les priait d’être agiles dans leur décision…

Heureusement, le Dr Arruda a fini par clarifier tout ça. Selon lui, « les bénéfices de l’utilisation de ces appareils sont plus grands que les inconvénients possibles ».

Traduction : au diable les risques de contamination théoriques. Sans climatisation, des résidants vont souffrir, peut-être même mourir, dans les prochains jours.

Et ça, ça n’a rien de théorique.

UNE QUESTION DE JUGEMENT

Les résidences privées pour aînés ne sont pas toutes climatisées, elles non plus.

Prenez cette large résidence de Montréal, très peu touchée par la pandémie.

Lundi, Martin Desrosiers, fils d’une locataire de 89 ans, a contacté La Presse en catastrophe. La résidence refusait de le faire entrer dans le logement de sa mère pour y installer un ventilateur sur pied, en prévision de la canicule.

Non seulement cela, mais aucun employé ne mettrait le pied dans le logement pour procéder à l’installation. M. Desrosiers a plaidé sa cause : même ganté, même masqué ? Même en respectant les mesures d’hygiène ?

Même tout ça. C’était non, niet. Personne n’était autorisé à pénétrer dans les logements. Fin de la discussion.

M. Desrosiers était sous le choc. Il comprenait qu’en principe, la résidence agissait pour le bien de sa mère. 

Mais c’était absurde, puisque sa mère ne pourrait qu’en souffrir.

Son histoire s’est donc retrouvée dans ma boîte de courriels, qui n’a jamais autant ressemblé à un service de dernier recours pour cas désespérés que depuis le début de la pandémie.

Mardi, j’ai appelé le propriétaire de la résidence.

« On va envoyer quelqu’un pour installer le ventilateur, m’a assuré le monsieur. Je m’en occupe immédiatement ! »

Fin de la discussion. Fin de l’histoire.

Quoi, vous voulez une morale ?

En voici une, qui en vaut bien une autre : rien ne sert de faire courir les journalistes. Mieux vaut faire preuve d’un minimum de jugement.