Cette année, fin du ramadan rime avec graduel déconfinement. Le mois de jeûne qui se termine ce dimanche s’est déroulé dans des circonstances inusitées pour les musulmans partout dans le monde, dont les travailleurs de la santé. C’est aussi l’occasion pour beaucoup de faire preuve de générosité, alors que les circonstances s’y prêtent.

Le mois de ramadan est un moment où on fait une pause dans son quotidien pour se concentrer sur sa spiritualité, explique Kanwal Hayat, porte-parole de la communauté musulmane Ismaili du Québec. « Cette année, avec la pandémie et le confinement, on aurait dit que la société au complet a dû faire cette pause pour se concentrer sur soi, réfléchir. »

Le ramadan est l’occasion de se réunir. Au moment de l’iftar, où on rompt le jeûne au coucher du soleil, on partage le repas avec famille et proches. « Cette année, il y a eu un vide à combler. Le contact a été virtuel et non physique. Dans mon entourage, on s’est organisé des espèces de potlucks sur Zoom. »

Pour l’Aïd el-Fitr, qui marque la fin du mois sacré, les célébrations autour d’un festin sont habituellement de mise. Certaines familles célébreront à l’extérieur, en nombre réduit et en se souciant des mesures sanitaires. « Ça peut devenir compliqué. Dans notre communauté, on a élaboré une programmation virtuelle toute la journée avec des chants et des entrevues, pour accompagner les gens dans leurs préparatifs. On veut aussi rappeler à tout le monde de respecter les consignes. »

PHOTO FOURNIE PAR LA COMMUNAUTÉ MUSULMANE ISMAILI DU QUÉBEC

Shakila Sekandari fabrique des masques bénévolement.

La générosité est au cœur du mois de ramadan. Cette année, la communauté Ismaili ne s’est pas contentée de distribuer des denrées alimentaires. Des bénévoles ont produit 2000 masques qui seront distribués à des organismes, dont la Mission Bon Accueil.

Entre l’iftar et l’hôpital

Difficile de se priver de nourriture et d’eau du lever jusqu’au coucher du soleil, chaque jour, pourraient penser certains. Pour Mahmoud Ouraghi, préposé aux bénéficiaires au CHUM, jeûner ne représente pas une corvée, malgré les longs quarts de travail. 

J’ai l’habitude de le faire depuis que j’ai 5 ans. Cette année s’est déroulée comme toutes les autres. La partie difficile, c’était de ne pas se réunir avec mes proches.

Mahmoud Ouraghi

Il célébrera l’Aïd confiné chez lui, en contact avec sa famille par FaceTime. En tant que travailleur de la santé dans une unité COVID, il ne peut se permettre de faire autrement. « Ça va me manquer, c’est sûr. Mais quand on choisit ce métier, c’est notre vocation. Ramadan, pas ramadan, les conditions sont difficiles ces temps-ci. Je vois des patients souffrir, sans leur famille, alors je m’estime chanceux. »

Le ramadan a toujours été important pour Karima Fazal, médecin de famille qui travaille maintenant au gouvernement. « C’est l’occasion de me demander ce que je voudrais faire différemment et comment je peux redonner aux autres. »

Elle s’est inscrite sur le site Je contribue ! dès son lancement. Cinq semaines plus tard, elle reçoit l’appel d’un CHSLD en manque de personnel. Elle commence son bénévolat… le premier jour du ramadan. « La coïncidence m’a fait sourire ! », s’amuse-t-elle.

Ce mois de prières et de réflexion si cher à son cœur a été plus ardu cette fois. « Le ramadan a cette beauté de nous pousser à nous réunir pour l’iftar. Le soir, quand on mange, c’est tout un rituel. Cette année, c’était plus mécanique. C’était juste un repas normal. »

Comme elle a travaillé en CHSLD pendant deux semaines, elle s’est complètement isolée de sa famille, jusqu’à ce que l’établissement reprenne le dessus sur la COVID-19. Elle s’est ensuite portée volontaire pour faire des appels aux personnes âgées de chez elle.

Je n’ai pas fait tout ça spécifiquement pour le ramadan, mais ça tombait bien. J’ai pu aider les gens dans une période qui est axée sur le partage et la charité.

Karima Fazal, médecin de famille

Voir des patients vivre leurs derniers jours dans la solitude l’a secouée. « C’était également dur de voir les travailleurs de la santé épuisés, déchirés quand ils devaient choisir entre nettoyer un résidant ou en faire boire un autre, isolés de leur famille par peur de les contaminer. Des fois, on me regardait comme si je tombais du ciel », raconte-t-elle.

Les rassemblements extérieurs de 10 personnes ou moins sont tolérés depuis vendredi, à condition de respecter les mesures sanitaires. Une bonne nouvelle pour les Québécois de confession musulmane, qui pensaient devoir passer l’Aïd dans le confinement le plus total.

Karima Fazal profitera donc du beau temps lors d’un premier barbecue en famille pour fêter l’Aïd. « C’est la première fois depuis deux mois qu’on se retrouve et ça tombe juste à temps pour fêter la fin du ramadan. »