Aller magasiner dans une boutique de son quartier, souper à la terrasse d’un restaurant, se promener dans un parc par un bel après-midi d’été.

De banales décisions prises jadis sans trop y réfléchir sont devenues soudainement de plus en plus importantes, alors que le « déconfinement social » s’amorce dans plusieurs provinces, notamment au Québec en fin de semaine. Le citoyen doit maintenant lier ses décisions de la vie quotidienne à une question fondamentale : quel est le risque ? Et comment peut-on le mesurer ?

Les experts en psychologie et en analyse de risques expliquent que notre processus décisionnel demeure toujours le même aujourd’hui, sauf que la COVID-19 nous oblige maintenant à évaluer nos choix d’une manière beaucoup plus délibérée.

« L’un des éléments de notre perception du risque est déterminé par ce qui occupe notre attention sur le moment », explique Derek Koehler, professeur de psychologie à l’Université de Waterloo. « Et en ce moment, la COVID-19 est omniprésente. C’est vraiment la seule chose qui occupe nos esprits et nos conversations. Et ça renforce notre perception que ces activités sont maintenant soudainement risquées. »

Les signaux physiques de la pandémie sont également difficiles à manquer, rappelle M. Koehler. Les gens portent des masques en public, on a collé des flèches sur le plancher des épiceries, des commis aux caisses sont protégés par un écran en plexiglas. « Ces signes dans notre environnement déclenchent dans notre système un message qui nous dit : il y a quelque chose de peu familier, ici. Et on a tendance à craindre l’inconnu. »

M. Koehler s’attend à ce que notre réaction à ces signes extérieurs change avec le temps, tout comme nous nous sommes habitués aux mesures de sécurité accrues dans les aéroports après les attentats terroristes du 11 septembre 2001.

Comment déterminer ce qui est sécuritaire ?

Dale Griffin, professeur de marketing et de sciences du comportement à l’Université de la Colombie-Britannique, affirme que la pandémie a changé les bases de ce qui nous aide à déterminer le risque.

Nos décisions, jusqu’ici basées sur la fonction — combien de temps nous avons pour faire une activité spécifique, combien ça coûte — sont maintenant prises avec comme objectif ultime : la sécurité. Mais comment déterminer ce qui est sécuritaire ? M. Griffin explique que nos perceptions sont façonnées par ce que nous voyons. Et nous évaluons le risque de divers scénarios en recherchant autour de soi des « exemples comparables ».

« Pour la plupart des gens […] c’est ce qu’ils voient dans les médias. Est-ce qu’ils voient des salles d’urgence bondées à New York ? Est-ce qu’ils voient des gens magasiner au Tennessee ? Ont-ils appris par des amis que la grand-mère de quelqu’un était morte ? Ce sont ces éléments de preuve qui entrent intuitivement dans notre prise de décision. » Or, ces sources d’informations sont parfois nocives à l’ère des médias sociaux, lorsqu’il peut être difficile de séparer les faits de la théorie, admet le professeur Griffin.

Le rationnel et l’émotif

Le professeur Koehler rappelle aussi qu’il y a deux côtés à la prise de décision : « la pensée et les sentiments ». Le côté de la pensée est là où nous recueillons des faits et des preuves pour porter un jugement rationnel, déterminer la probabilité d’un mauvais choix et ses conséquences. Le côté sentiment, quant à lui, est notre réponse émotionnelle face à différents risques. « Et ça joue également un grand rôle — je pense que nous sommes tous familiers avec ça. »

M. Koehler décrit ce côté émotif comme « davantage axé sur les préférences et les valeurs — et sur leur importance pour nous ». Ce qui pourrait expliquer en partie pourquoi certaines personnes ont apparemment défié les consignes de distanciation sociale au cours des 10 dernières semaines. Certains ont peut-être été en désaccord dès le début avec le niveau de risque et déterminé que le « coût de leur isolement social » était trop élevé, avance M. Koehler.

Par ailleurs, ceux qui ont respecté les consignes depuis mars pourraient maintenant éprouver une lassitude à force d’évaluer constamment leurs risques, ce qui pourrait influencer leur processus décisionnel. D’autres, enfin, continueront de respecter les consignes même si elles sont assouplies par les autorités.

« Certains évoquent cette hypothèse d’une “fatigue psychologique » d’évaluer constamment le risque, indique le professeur Griffin. Pour un segment de la population, de toute façon, nous avons atteint ce point de rupture et nous voyons effectivement des gens se précipiter vers les plages et les parcs, sans distanciation physique.

« Si on simplifie à outrance, disons que nous allons voir apparaître trois groupes à partir de maintenant : ceux qui sont très pressés, à cause de la fatigue ; ceux qui, à l’opposé, s’accrochent à leur bulle de sécurité ; et au milieu — probablement la majorité —, ceux qui vont suivre les recommandations des autorités. »