« On nous a abandonnés » : le coronavirus a bouleversé la vie de milliers de parents et exacerbé les inégalités entre les ados. L’incertitude qui plane sur la rentrée de septembre fait monter l’angoisse d’un cran.

« C’est une catastrophe totale », lance Madeleine Allard.

Cette mère de quatre enfants frôle la dépression. Elle pense qu’elle ne s’en remettra jamais. Le père de ses enfants a perdu son emploi, et elle, une partie de son salaire, même si elle travaille plus que jamais.

« Ils ont abandonné les enfants. Ils ont abandonné les parents, déplore-t-elle. Ils auraient pu jouer un rôle primordial dans notre vie et ils ne l’ont pas fait. »

L’école a un rôle social à jouer, l’école doit protéger les enfants, ce n’est pas seulement une question d’éducation. Ils ne l’ont pas fait, ils n’ont rien fait. C’est tellement choquant. Souvent, je me penche sur mon bureau et je pleure de colère.

Madeleine Allard, mère de quatre enfants

Mme Allard fait ce qu’elle peut pour motiver ses ados, mais ce n’est pas facile. En dépit de l’aide qu’elle reçoit de son père et de sa sœur, ses enfants passent en moyenne huit heures par jour rivés à des écrans. Ils regardent des vidéos sur YouTube, jouent à des jeux vidéo en ligne avec des amis.

Rosanna, sa fille de 16 ans, qui va à l’école Joseph-François-Perrault, a reçu quelques courriels de ses enseignants, un peu de travaux à faire, mais rien d’obligatoire, depuis huit semaines. Elle a un seul cours par Skype par semaine. Même chose pour ses autres enfants.

« Il n’y a pas de plan de travail, pas d’activités précises, pas de suivi à savoir si ç’a été fait ou non », précise Mme Allard, qui s’alarme en pensant que l’enseignement pourrait se faire à distance au secondaire l’automne prochain. « Ce n’est pas viable. Je suis dans un appartement avec quatre enfants. J’essaie de travailler au milieu de tout ça et de m’assurer que mes enfants continuent à étudier. C’est impossible. »

« L’école a pris le bord »

De son côté, Catherine Legris a fait une croix sur la session d’hiver, mais espère que les écoles secondaires rouvriront en septembre, « même à mi-temps, deux jours par semaine ».

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Catherine Legris et deux de ses fils, Mathieu et Hugo Paquet

« Quand je vois les adolescents autour de moi, les amis de mes enfants, mes enfants, je constate que l’école a vraiment pris le bord dans les deux derniers mois. On ne reconnaît pas tant que ça les besoins des ados là-dedans », avance-t-elle.

Ses trois garçons vont à l’école secondaire Georges-Vanier de la Commission scolaire de Montréal. L’aîné, accepté au cégep, travaille à temps plein ou presque. L’école, pour lui, c’est bien fini. Le deuxième promène des chiens. Et le plus jeune fait de la planche à roulettes. 

Il s’est organisé pour fabriquer des modules avec du bois, des clous et des vis, pour pouvoir pratiquer son sport quand même. Je trouve ça productif. Je trouve ça positif.

Catherine Legris

« J’ai trois garçons autonomes qui n’ont pas de difficultés d’apprentissage. Mais ça doit être un autre portrait quand ce sont des garçons qui ont des difficultés parce que ce ne sont pas tous les parents qui peuvent s’en occuper », ajoute cette orthopédagogue qui travaille dans une école primaire.

« Pour avoir parlé à des enseignants qui font de l’enseignement à distance, ce ne sont pas les enfants les plus vulnérables qui sont en ligne. Les enseignants ont essayé de joindre certains enfants à plusieurs reprises et n’ont jamais eu de nouvelles. »

LA PEUR DE L’AUTOMNE

Emmanuelle Lebeau, mère de trois enfants, a aussi l’impression qu’on a oublié les enfants dans cette crise. « Je suis catastrophée. J’ai vraiment un sentiment d’abandon des enfants qui me trouble beaucoup. »

Deux de ses trois enfants, Laurent, 13 ans, et Aurélie, 17 ans, fréquentent l’école publique. L’autre, Salomé, 15 ans, est au privé. Ça lui permet de constater l’abîme entre les deux systèmes. « Du côté de Salomé, ça va comme sur des roulettes, observe-t-elle. C’est extraordinaire, vraiment formidable. Ça semble vraiment bien organisé. Elle s’occupe de ses affaires. Ils ont des projets motivants. Je suis bien contente pour elle, mais je pense que ça n’a aucun sens. »

Ses deux autres enfants n’ont pas fait grand-chose depuis deux mois, mais le rythme semble vouloir s’accélérer. Un cours sur deux pourrait être donné sur l’application Teams dès la semaine prochaine, si les enfants sont encore au rendez-vous. Mais il n’y aura pas de tests ni de notes. « Ça va être une trace pour valider le jugement des enseignants », s’est fait expliquer Mme Lebeau.

« Moi, ajoute-t-elle, c’est l’automne qui me fait peur. »