Les adolescents de toute la province sont à la maison depuis deux mois. Contrairement à la plupart des enfants du primaire, ils doivent se passer d’un retour physique en classe. Les avons-nous abandonnés à leur sort ? Nombreux sont ceux qui pensent que oui et qui en appellent à des mesures rapides pour remettre ces élèves sur les rails.

Jonathan St-Pierre enseigne au secondaire public à Rouyn-Noranda depuis bientôt 12 ans. Il déplore le traitement qu’on a réservé aux adolescents depuis le début de la crise. « On les a laissés tomber, on les a négligés, on les a laissés pour compte. J’ai peur pour l’année prochaine », dit l’enseignant.

Il se demande pourquoi on n’a pas commencé l’école à la maison dès la mi-mars plutôt que de laisser les élèves du secondaire « dans un flou ».

« On leur a dit : “L’année est terminée, il n’y aura pas d’évaluations, vous êtes en vacances.” Ensuite on a dit : “L’école sera à la maison, ça va être obligatoire, mais vous ne serez pas évalués.” Au lieu de ne rien faire, ils sont allés travailler et là, on les traite d’irresponsables parce qu’ils n’ont pas attendu le retour de l’école en ligne », dit celui qui donne le cours Monde contemporain aux élèves de cinquième secondaire.

Professeure de psychologie à l’Université McGill, Bärbel Knäuper a récemment dénoncé le sort réservé aux élèves du secondaire dans une lettre ouverte qu’elle a cosignée dans Le Devoir. Elle trouve « insensé » que le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, ait longtemps dit qu’il n’y aurait pas de nouveaux apprentissages d’ici la fin de l’année scolaire. On envoie ainsi le message aux élèves que bien qu’ils ne soient pas en classe, ils ne manquent rien.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Jean-François Roberge, ministre de l’Éducation

« N’a-t-on rien à enseigner ? On n’encourage pas les jeunes Québécois à apprendre quelque chose de nouveau ? On dit que ce n’est pas important ? », demande Bärbel Knäuper.

Lien rompu

Croisé lundi dans une école primaire de Sorel-Tracy où il avait été appelé en renfort dans une classe de deuxième année, Guillaume Gauthier se désolait d’avoir laissé ses élèves du secondaire en plan.

« Je suis tuteur de certains élèves, je communiquais avec eux. J’aimerais conclure l’année, mais je ne sais pas ce qui s’en vient », disait-il. Des dizaines d’enseignants de son école secondaire ont été « prêtés » au primaire et il se demandait comment ceux qui restaient pourraient gérer la fin de l’année scolaire. « Ça m’inquiète un peu », a-t-il dit.

Il y a de quoi s’inquiéter, dit Isabelle Archambault, professeure à l’École de psychoéducation de l’Université de Montréal.

Dans le discours politique, on entendait davantage parler du retour scolaire des enfants en invoquant le fait que c’était pour leur santé mentale. Si c’est ça, on a clairement oublié les adolescents. Ils peuvent souffrir encore plus de ce confinement.

Isabelle Archambault

Une étude à laquelle elle a participé a montré que le tiers des adolescents subissent des répercussions négatives liées au confinement par rapport à leur santé psychologique, notamment des symptômes dépressifs.

Une « génération COVID-19 » ?

La députée libérale Marwah Rizqy se montre inquiète pour les jeunes du secondaire. « Si on ne fait rien, on va se retrouver au Québec avec une “génération COVID-19” », lance-t-elle.

Tout le monde doit maintenant s’adapter à la nouvelle réalité, dit-elle. Les choses ne peuvent plus se faire comme elles se faisaient, il est temps que chacun soit créatif. Pour les élèves de cinquième secondaire, il faut envisager une sorte de « camp d’entraînement » où pendant trois semaines, en août, ils devraient faire une mise à niveau avant d’entrer au cégep.

Y aura-t-il une « génération COVID-19 » ? « Il est trop tôt pour le dire, mais il n’est pas trop tard pour mettre en place des mesures. Il ne faut pas attendre au 22 août pour réfléchir à des stratégies pour gérer l’enseignement à distance et prendre en charge le bien-être des adolescents », dit la professeure de psychoéducation Isabelle Archambault.

Également titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur l’école, le bien-être et la réussite éducative des enfants, elle invite à penser à des initiatives qui pourraient avoir lieu pendant l’été, par exemple des camps pendant lesquels on proposerait des activités ludiques d’enrichissement aux adolescents.

D’ici là, la directrice de l’école secondaire Augustin-Norbert-Morin, à Sainte-Adèle, croit que les élèves veulent des rendez-vous avec leurs enseignants, même s’il est impossible d’exercer le même « contrôle » à distance, par exemple sur les absences.

« Je reste convaincue que les élèves ont envie d’être là. Les ados ont un grand besoin de socialiser », rappelle Isabelle Nareau.

— Avec la collaboration de Suzanne Colpron et de Louise Leduc, La Presse

Disparités entre public et privé

Dès que les écoles ont été fermées à la mi-mars, bien des établissements privés ont commencé à donner des cours en ligne. « On a introduit de la nouvelle matière assez rapidement », dit le président de la Fédération des établissements d’enseignement privés, David Bowles.

Il se montre inquiet pour certains jeunes. « Je ne veux pas dire que je suis inquiet pour tous les élèves du public, mais pour les élèves qui n’ont pas eu d’enseignement à distance, oui. On a un taux de décrochage assez élevé au Québec, et toutes les études disent qu’une longue pause scolaire et une absence de relation entre l’élève et l’enseignant peuvent avoir un impact négatif sur le décrochage scolaire », dit David Bowles.

La titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur l’école, le bien-être et la réussite éducative des enfants, Isabelle Archambault, également professeure à l’Université de Montréal, constate cet écart entre les deux réseaux.

« C’est malheureux parce que c’est clairement les élèves qui sont en plus grande difficulté qui vont en payer les coûts », dit-elle.

L’accroissement des disparités entre le public et le privé ne fait qu’ajouter à un « problème déjà important », dit la professeure de psychologie à l’Université McGill Bärbel Knäuper. « Je me demande si certains parents remettront en question leur choix de l’école publique pour l’automne prochain. Oui, je pense que ça aura un effet. Ça ne fera qu’affaiblir le système public », conclut Mme Knäuper. — Marie-Eve Morasse, La Presse