Avril 2020 a été le mois le plus meurtrier des 10 dernières années. Avec 7662 décès, la province a enregistré 37,5 % plus de morts que la moyenne d’avril des cinq dernières années, révèlent des données préliminaires de la Direction de l’état civil du Québec. 

Cet « excès de mortalité » par rapport à la normale est « essentiellement lié aux 1989 décès associés à la COVID-19 rapportés par l’INSPQ (Institut national de santé publique du Québec) en avril », suggère une analyse « très préliminaire » réalisée à la demande de La Presse par l’économiste Pierre-Carl Michaud, de la Chaire de recherche sur les enjeux économiques intergénérationnels de HEC-Montréal. 

En tenant compte de plusieurs facteurs – dont la croissance normale de la population et la fluctuation des morts liées à l’influenza –, M. Michaud estime que le nombre de décès d’avril est de 30 % supérieur au nombre attendu.

Si on enlevait les morts COVID-19 d’avril, on serait dans une tendance tout à fait normale de mortalité. Ça suggère que la Santé publique fait un bon boulot pour identifier les décès COVID-19.

Pierre-Carl Michaud

Le même exercice révèle une surmortalité de 3,5 % pour le mois de mars, lors duquel 6349 décès ont été signalés à la Direction de l’état civil.

Le précédent sommet de morts des 10 dernières années remontait à janvier 2018, un mois particulièrement affecté par l’influenza, durant lequel 7300 décès ont été constatés. 

Bien au-delà de la variation normale

Normalement, la variation mensuelle d’une année à l’autre peut atteindre 5 %, mais elle atteint très rarement 10 %. « Cette année, ce n’était pas une année où l’influenza était particulièrement forte, note l’économiste. Il n’y a rien dans les statistiques [autre que la COVID-19] qui explique l’écart », selon lui. 

Les données sur lesquelles il se base proviennent des déclarations de décès reçues par la Direction de l’état civil en mars et en avril. Elles sont incomplètes et pourraient augmenter légèrement à mesure que les hôpitaux et responsables de santé publique les acheminent. 

Il faudra attendre juillet pour avoir un portrait plus définitif, lorsqu’il sera publié par l’Institut national de santé publique. 

Des démographes de partout dans le monde pressent néanmoins les autorités de publier plus rapidement les données de décès afin d’évaluer l’impact réel de la pandémie en calculant cet « excès de mortalité ». La méthode permet de constater l’étendue des dégâts même si le dépistage du coronavirus est défaillant. 

En Angleterre et au pays de Galles, selon le programme de suivi des mortalités EuroMOMO, les quelque 27 000 décès officiellement liés à la COVID-19 en mars et avril n’expliquent que 71 % des 38 500 morts excédentaires constatées pour la même période. Cet écart (29 %) suggère que 11 500 décès liés à la COVID-19 n’ont pas été diagnostiqués correctement.

En France, par opposition, 92 % des décès excédentaires de mars et avril ont été diagnostiqués comme des cas de COVID-19, ce qui suggère un meilleur dépistage. En Suède, pays qui a choisi une approche de confinement volontaire moins restrictive, l’écart est de 19 %, pour un total de 468 morts possiblement mal diagnostiquées. 

Arruda s’en félicite

Le très faible écart entre l’excès de mortalité au Québec et le nombre de décès confirmés de COVID-19 a été qualifié de « bonne nouvelle » mercredi par le directeur national de santé publique, Horacio Arruda. « C’est ce qu’on dit depuis tout le temps, on a un système qui capte bien les décès, s’est-il félicité. C’est normal de ne pas avoir exactement le même chiffre, mais on est à beaucoup moins de 10 % de surmortalité », a-t-il souligné. 

Le démographe Robert Bourbeau, professeur émérite au département de démographie de l’Université de Montréal, estime toutefois que la conclusion du Dr Arruda est « un peu hâtive » puisque les données sont préliminaires et sous-estiment probablement le nombre réel de morts. 

Même imparfait, le calcul donne néanmoins une indication utile, croit Pierre-Carl Michaud. « Ça montre qu’on n’est pas dans une grosse tempête qu’on n’a pas vue venir, commente-t-il. Si on avait eu 2000 décès en extra, même 1000 décès excédentaires, on serait dans un autre monde en ce qui a trait aux décisions de déconfinement prises par le gouvernement, et les choix qui doivent être faits pour le système de santé. 

« Pour le moment, je suis rassuré. J’ai hâte de voir les données du mois de mai, parce que c’est là qu’on risque d’apercevoir l’impact des problèmes qu’on voit dans le réseau de la santé, avec les gens qui manquent des rendez-vous médicaux ou qui ne vont pas aux urgences », prédit-il.