(Ottawa) La façon quelque peu archaïque dont le Canada enregistre encore les décès signifie que des données importantes échappent probablement à nos décideurs pour faire face à la pandémie de COVID-19.

Le nombre confirmé de décès dus à la COVID-19 — environ 5050 au Canada mardi matin — représente les personnes mortes qui ont reçu un test de dépistage positif à la maladie virale. Or, des experts suggèrent que ce tableau pourrait être bien différent.

D’une part, les protocoles de dépistage varient d’une province à l’autre : la mesure des « cas confirmés » ne reflète donc pas l’impact réel du coronavirus.

En fait, la comparaison du nombre total de décès au Canada par rapport aux années précédentes pourrait offrir un meilleur aperçu, et Ottawa travaille avec Statistique Canada pour recueillir et analyser cette information.

Mais selon Laura Rosella, professeure agrégée de santé publique à l’Université de Toronto, il est difficile au Canada d’obtenir les données assez rapidement pour qu’elles soient véritablement utiles. « La manière dont nous recueillons les informations sur les décès est assez archaïque », explique Mme Rosella, qui est également directrice scientifique du Laboratoire d’analyse de la santé des populations à l’Université de Toronto.

Au Canada, lorsqu’une personne meurt, un médecin remplit généralement un certificat de décès sur papier et le télécopie à l’organisme provincial responsable du traitement de ces statistiques. Ce procédé signifie que l’obtention de données vérifiées sur le nombre de personnes décédées au cours d’une année peut prendre en fait… plusieurs années. Dans certains cas, ces données sont aussi fournies par les hôpitaux ou les coroners, en utilisant différentes méthodes, ce qui donne des chiffres divergents — qui doivent ensuite être « réconciliés » pour être utiles.

« Notre système n’est pas configuré pour offrir un instantané de la mortalité, en temps réel », estime la professeure Rosella — ce qui n’aide pas beaucoup les gouvernements à prendre des décisions éclairées basées sur des données probantes.

L’ancienne ministre fédérale de la Santé Jane Philpott, qui a été aux premières lignes dans la bataille contre la COVID-19 à l’hôpital Markham Stouffville, de Markham, en Ontario, a exprimé en fin de semaine sa frustration face à l’état des données au Canada. « Nous accusons un retard exaspérant de plusieurs décennies dans les techniques de collecte de données en santé publique », a écrit dimanche sur Twitter la docteure Philpott.

Accélérer la cueillette

En période de crise sanitaire, les gouvernements s’efforcent souvent d’accélérer la collecte des données pour certaines causes de décès. L’administratrice en chef de la santé publique du Canada, la docteure Theresa Tam, rappelle que c’est ce qui s’est produit par exemple pendant la crise des opioïdes, alors que le gouvernement cherchait de nouvelles façons d’enregistrer les décès par surdose.

Selon elle, Ottawa espère utiliser les mêmes méthodes pour obtenir un accès plus rapide aux données sur la COVID-19. « Nous avons mis en évidence certaines des lacunes dans les informations en temps réel sur les décès dus à la COVID-19 », a admis la docteure Tam lors d’un point de presse à Ottawa lundi. « Nous faisons de notre mieux avec les provinces pour essayer de voir si nous pouvons combler ces lacunes. »

Selon la Health Foundation en Grande-Bretagne, les données au Royaume-Uni montrent une augmentation du nombre total de décès depuis mars par rapport à ce que pourrait suggérer le nombre total de cas confirmés de COVID-19. Des informations sur le nombre total de décès cette année par rapport à 2019 donneraient également un aperçu de certaines des autres conséquences de la pandémie, a déclaré la docteure Tam.

Par ailleurs, les médecins un peu partout au pays ont observé des taux plus faibles de visites aux urgences, ce qui suggère que les gens ne vont peut-être pas à l’hôpital lorsqu’ils ont besoin d’aide. « La surmortalité est quelque chose que nous devons examiner parallèlement aux décès dus à la COVID-19 », a souligné la docteure Tam.

La comparaison du nombre de décès avec les années précédentes est souvent utilisée par exemple pour mesurer la gravité d’une grippe saisonnière, rappelle aussi la professeure Rosella.

On parle depuis des années d’améliorer la collecte de données au Canada, en créant une base de données ou un registre national, a-t-elle déclaré. Mais ces améliorations nécessitent des investissements — et jusqu’à présent, rien n’a été fait.