(Québec) Le gouvernement Legault lève progressivement les barrages policiers qui limitent l’accès à certaines régions. Mais cette nouvelle étape du déconfinement ne doit pas être interprétée comme une invitation à visiter le Québec – à tout le moins, pas pour l’instant. 

La vice-première ministre et ministre de la Sécurité publique Geneviève Guilbault a annoncé mercredi que les contrôles mis en place en raison de la pandémie de COVID-19 seraient levés dès le 4 mai pour les régions des Laurentides, de Lanaudière, de Chaudière-Appalaches et pour la ville de Rouyn-Noranda. Ce sera ensuite le tour de l’Outaouais (à l’exception de la frontière entre Gatineau et Ottawa), de l’Abitibi-Témiscamingue, de La Tuque et du Saguenay–Lac-Saint-Jean le 11 mai, puis du Bas-Saint-Laurent, de la Gaspésie, des Îles-de-la-Madeleine, de Charlevoix et de la Côte-Nord le 18 mai.

« On demande quand même aux Québécois d’éviter les déplacements superflus, d’éviter de se déplacer d’une région à l’autre si ce n’est pas essentiel. […] Ce n’est pas le temps d’aller flâner ou d’aller dans les commerces d’une autre région simplement pour le plaisir », a précisé Mme Guilbault lors d’un point de presse à Québec. 

Cet appel à limiter ses déplacements a été particulièrement entendu dans des régions proches de Montréal, notamment dans les Laurentides, où de nombreux citadins possèdent des résidences secondaires.

« C’est ouvert, les gens vont en profiter pour monter. Je ne pense pas qu’on peut les empêcher de le faire. Mais quand ils arrivent à leur chalet, qu’ils respectent les règles de la Santé publique. Pas de rassemblements, pas de partys. Ils ne viennent pas ici en vacances. Nous, on n’est pas en vacances. On est confinés à la maison », affirme Marc L’Heureux, préfet de la MRC des Laurentides.

Un peu d’espoir 

Ces nouveaux assouplissements apportent un vent d’espoir pour le secteur touristique, qui vit, selon la Fédération des chambres de commerce du Québec, sa « tempête parfaite ». L’industrie, précise-t-on, génère plus de 400 000 emplois et des recettes annuelles de 15,7 milliards, dont plus de 2 milliards en retombées fiscales au Québec seulement. Mais ce portrait enviable est sérieusement menacé, alors que la survie de milliers d’entreprises est en jeu si la saison touristique tombe à l’eau. 

« Il y a une opportunité touristique pour le Québec qu’on va certainement vouloir saisir, mais au moment où on sera prêts à le faire. Actuellement, on ne l’est pas. […] Il ne faut pas crier victoire, [la pandémie] n’est pas derrière nous, on n’est pas capables de vous dire : le 4 juillet, vous pouvez vous réserver un hôtel en Gaspésie pour aller voir le rocher Percé. [Mais] certainement, on travaille dans ce sens-là », a déclaré mercredi Geneviève Guilbault. 

PHOTO JACQUES BOISSINOT, LA PRESSE CANADIENNE

Geneviève Guilbault, vice-première ministre, et le Dr Horacio Arruda, directeur national de santé publique du Québec

Martin Soucy, président-directeur général de l’Alliance de l’industrie touristique du Québec, demande à Québec de prendre « des mesures de soutien pour les entreprises qui étaient rentables et qui ne pourront pas rouvrir entièrement ou partiellement » cet été. Sans aide, près de 50 % de l’industrie pourrait être à risque.

Les Québécois sont de grands voyageurs, rappelle aussi M. Soucy. « En temps normal, 8 milliards [de dépenses] sortent à l’extérieur de la province pour des voyages à l’étranger, alors que l’apport des touristes internationaux, en excluant les voyageurs du reste du Canada, est de 3 milliards au Québec », dit-il. L’industrie souhaite convaincre la population de voyager dans la province si la pandémie reste maîtrisée. 

Voyager, mais comment ? 

Mais sera-t-il possible de voyager tout en restant à deux mètres les uns des autres ? Le directeur national de santé publique, le Dr Horacio Arruda, croit que oui. Il faudra toutefois s’adapter. 

« Le déconfinement progressif qu’on fait [en ce moment], il faut voir que c’est surtout pour permettre aux activités commerciales de se faire. Ce n’est pas une invitation à aller voyager. Et si jamais on [voyage à nouveau], tant qu’on n’aura pas un vaccin, ça va être une façon différente, probablement, de faire du camping. Par exemple, en n’étant pas plusieurs familles rassemblées autour du même feu », a-t-il illustré. 

Pour ceux qui profiteront des beaux jours dans leur région, ils pourront peut-être organiser des BBQ extérieurs en famille et entre amis, a précisé le Dr Arruda.

« On est les premiers à vouloir, nous aussi, pouvoir revivre ces moments-là. Nos amis nous manquent. Notre barbecue à l’extérieur nous manque. Mais je pense qu’il faut y aller par étapes. Mais je veux donner de l’espoir, là. On ne pourra pas, de toute façon, rester encabanés complètement », a-t-il affirmé. 

« Rien n’est [donc] exclu, mais je ne peux pas vous le dire maintenant parce que je veux véritablement voir [les effets des premières étapes du] déconfinement », a-t-il ajouté.

Éviter une nouvelle vague 

Chose certaine, Québec veut limiter les effets du déconfinement sur le nombre de nouveaux cas de personnes infectées à la COVID-19 et de nouvelles hospitalisations. Certaines régions qui ont été moins touchées par le coronavirus craignent d’ailleurs l’arrivée de résidants de zones chaudes, comme Montréal, au cours des prochaines semaines. 

C’est certain qu’on y pense. Nous, au Bas-Saint-Laurent, la situation est exceptionnelle. On parle de 35 cas. C’est stable depuis plusieurs jours. On ne veut pas créer de nouveaux foyers d’infection. Mais on ne peut pas non plus rester fermés à jamais. Il faut gérer ce risque-là.

Jérôme Landry, maire de Matane

Matane est située dans la région administrative du Bas-Saint-Laurent, mais dans la région touristique de la Gaspésie. 

Selon le maire Landry, « le marché intérieur québécois est suffisant pour offrir une saison touristique intéressante », alors que « beaucoup de gens qui touchent toujours leur salaire, mais qui ne dépensent pas, auront envie de sortir un peu et de dépenser ». 

Il se demande toutefois si les Montréalais pourront visiter l’est du Québec au début de l’été, ou s’ils devront attendre plus tard, en juillet ou en août, pour pouvoir voyager.

« C’est la Santé publique qui va prendre la décision, je pense. Et entre-temps, avoir le marché de l’est du Québec – Québec ou la Côte-Nord – tôt, à la fin de mai ou en juin, ce serait drôlement intéressant », dit-il. 

Le maire de Sainte-Pétronille et préfet de la MRC de L’Île-d’Orléans, Harold Noël, constate aussi que « plusieurs personnes de l’île sont chatouilleuses » à l’idée de voir des Montréalais visiter leur région pour l’instant. 

« On veut éviter de contaminer notre région avec des gens qui viennent de régions très contaminées », dit-il.

Les Îles dans une position difficile

Aux Îles-de-la-Madeleine, « la situation est plus que préoccupante, elle est même alarmante, indique le maire Jonathan Lapierre. Contrairement à Québec ou à Montréal, on ne peut pas dire qu’on va perdre l’été et se rattraper à l’automne et à l’hiver ».

Cette saison touristique estivale est, avec la pêche, l’un des deux piliers économiques des Îles. Et ce pilier est fortement ébranlé. L’annulation des croisières de la CTMA, qui transportent environ 5000 visiteurs par an, a été un premier coup dur.

À cela s’ajoute un défi interprovincial. Les Québécois qui veulent se rendre en voiture doivent traverser le Nouveau-Brunswick et l’Île-du-Prince-Édouard pour prendre le traversier à Souris, des déplacements toujours prohibés. 

L’hôtelier Dany Leblanc trouve la situation extrêmement préoccupante. Son Auberge Madeli, le seul hôtel des Îles ouvert à l’année, est déserte. Et le congrès de 250 personnes qui devait lancer la saison de son Château Madelinot a été annulé, comme les cinq autres congrès et les 80 autocars de touristes prévus cette année. 

« Le Château, on est à se poser la question : est-ce qu’on va l’ouvrir ou pas ? dit M. Leblanc. On parle de l’ouvrir peut-être en juillet. »

Pour l’hôtelier, dans les affaires depuis 36 ans aux Îles, où il possède quatre autres entreprises, c’est bien davantage que la saison touristique qui est en jeu. « J’ai vécu l’exode de la population dans les années 80, et je crains qu’il n’y ait un autre exode », dit-il. 

Si le Château Madelinot n’ouvre pas, par exemple, une soixantaine de personnes seront privées de travail. « Et elles ne peuvent pas se relocaliser dans le village voisin ! », précise l’entrepreneur. 

Le maire Lapierre demande aux gouvernements de ne pas faire « de mesures mur à mur », mais de tenir compte de la réalité et de la vulnérabilité des entreprises touristiques des Îles, qui ne font pas partie de chaînes multinationales.