Alors que Québec révélera cette semaine son plan de réouverture progressive de l’économie, les chefs de la Nation innue sont unanimes : il est hors de question que le déconfinement se fasse « sur le dos des régions et des communautés » autochtones, dont les populations sont particulièrement vulnérables.

Les neuf leaders des communautés innues de la Côte-Nord et du Saguenay–Lac-Saint-Jean s’inquiètent, dans une lettre adressée à François Legault, d’un retour trop rapide à la normale en régions éloignées où la COVID-19 a fait beaucoup moins de ravages que dans les grands centres. Ils exhortent le premier ministre à être sensible à leurs réalités et à en tenir compte dans ses visées de reprise.

La Nation innue a par ailleurs amorcé sa propre réflexion quant à la réouverture des écoles, en dépit de ce que décidera Québec ce lundi. Un plan de déconfinement adapté aux Innus est aussi en cours de réalisation, selon nos informations, avec l’appui du chirurgien innu Stanley Vollant et de l’ex-député Amir Khadir.

« L’aplatissement de la courbe ne signifie pas qu’il faille s’applaventrir sous la pression de certaines industries qui pourraient miner nos efforts comme leaders et comme citoyens à contrer l’ennemi invisible », écrivent les chefs innus dans leur missive envoyée samedi dernier et que La Presse a pu consulter.

Nous avons fermement exprimé, à de nombreuses reprises, que nous allons d’abord protéger la santé de nos populations avant d’accepter de rouvrir les vannes de l’économie.

Les chefs innus

Ils assurent également « être prêts à passer à l’étape du déconfinement », mais avec la mise en place de « conditions sanitaires et sécuritaires » adaptées.

La Côte-Nord, où se trouvent huit des neuf communautés innues, est une région dont la santé économique dépend de celle des ressources naturelles.

Les Innus sont préoccupés par un retour « de centaines de travailleurs venant de l’extérieur » pour œuvrer dans le secteur minier où la pratique commune est le « fly in, fly out ». Ils ne sont pas moins inquiets de la reprise des activités de l’industrie de la construction, comme au complexe La Romaine d’Hydro-Québec.

Citant « la catastrophe » des CHSLD, les chefs indiquent que le « risque d’une telle hécatombe se pose réellement chez [eux] » si le virus venait « à s’immiscer dans [les] communautés par les allées et venues des travailleurs de l’extérieur et par les mesures de déconfinement qui ne tiendraient pas compte de [leurs] réalités ».

Dix Innus, dont huit à Mani-Utenam, près de Sept-Îles, ont été déclarés positifs à la COVID-19 depuis le début de la pandémie. Un Innu âgé dans la quarantaine a notamment connu d’importantes complications qui ont forcé son transfert vers Québec où il a été soigné pendant plusieurs jours aux soins intensifs.

Risques « extrêmement élevés »

Les communautés innues ont déployé un train de mesures pour limiter la propagation du nouveau coronavirus sur le territoire. Plusieurs ont carrément fermé leurs frontières aux visiteurs, craignant que le virus se propage comme une traînée de poudre dans la communauté, souvent surpeuplée et démunie de ressources.

« Vous n’êtes certainement pas sans savoir que les facteurs de risque de propagation du virus sont extrêmement élevés dans nos communautés, comme le fort taux de maladies chroniques, le surpeuplement des logements, le manque de personnel en santé et services sociaux et les facteurs d’isolement géographique », énumèrent-ils.

Le taux d’obésité chez les adultes autochtones atteint 44 % (18 % au Québec) selon des données de la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador. Environ 15 % des autochtones âgés de 12 ans et plus souffrent également de diabète, ce qui est le double de la moyenne québécoise.

Les chefs assurent que, tout comme Québec, ils préfèrent « prévenir que guérir » et réclament que les « démarches et solutions » du gouvernement Legault « soient établies en dialogue » avec les leaders autochtones. Ils saluent par ailleurs la collaboration établie avec le réseau québécois de la santé.

Une concertation « qui a certainement permis de sauver des vies » malgré les conflits de juridiction fédérale et provinciale.