Voilà trois fois que la Dre Marika Audet-Lapointe, psychologue et neuropsychologue, pose sa candidature sur le site Je contribue !.

Son souhait : contribuer à la mise sur pied d’une cellule de santé psychologique COVID-19. Jusqu’ici, on lui a plutôt proposé des tâches d’agente de sécurité, de préposée à l’entretien ménager ou de préposée aux bénéficiaires.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

La Dre Marika Audet-Lapointe

Alors que c’est l’hécatombe dans les CHSLD, que le manque de personnel est si criant que des patients meurent de soif, la psychologue qui fait de la pratique privée a le goût de répondre à l’appel. « Mais aller là, c’est mettre sur pause mes patients en ce moment, majoritairement en oncologie, qui doivent composer avec des diagnostics de cancer reçus par téléphone, dire au revoir à un proche, des traitements qui sont suspendus… C’est un problème qui est excessivement difficile. »

Dans le réseau public, des psychologues, tout comme d’autres professionnels en santé psychologique, se voient obligés de cesser leur suivi avec leurs patients pour donner des soins de santé physique en CHSLD. 

Certains ont l’impression d’avoir abandonné des patients vulnérables que la crise actuelle rend encore plus vulnérables. On leur demande de dire à leurs patients d’appeler le 811 pour de l’aide alors que des employés du 811, dans des bureaux où il y a eu plusieurs cas déclarés de COVID-19, appellent eux-mêmes à l’aide.

« J’ai des collègues qui font des attaques de panique dans leur char avant de rentrer au travail alors que leur job comme intervenants sociaux, c’est justement de rassurer les personnes qui font des attaques de panique », disait une intervenante du 811 Info-Santé de Laval, citée dans Le Devoir, mardi.

« Ces intervenants du 811 sont-ils vraiment en état de répondre au patient qui a été mis en plan par son psy et qui est en crise ? », se demande Marika Audet-Lapointe, qui ne demande pas mieux que de leur offrir elle-même une formation.

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Il y a un mois, Marika Audet-Lapointe était, avec la Dre Régine Gagnon, neuropsychologue, l’instigatrice d’un appel à unir les forces des psychologues et des psychothérapeutes durant la pandémie. L’objectif : coordonner les soins psychologiques de façon efficiente en situation de stress collectif afin de soutenir la population, les équipes soignantes et leur famille.

Près de 900 professionnels, tant du privé que du public, ont levé la main pour participer à cet effort collectif. Au ministère de la Santé et des Services sociaux, on indique que des discussions se poursuivent notamment avec les ordres professionnels pour « identifier l’apport optimal de chaque profession en soutien psychologique dans le contexte COVID ». On nous dit aussi que des arrimages ont été faits afin d’identifier rapidement les professionnels et intervenants volontaires par l’entremise de la plateforme JeContribueCOVID19.gouv.qc.ca.

Lorsque l’appel a été lancé, Marika Audet-Lapointe avait l’impression d’être devant un édifice en feu. Les pompiers se regardent et se demandent comment ils vont l’éteindre. Un mois plus tard, ça brûle toujours. « C’est pas mal brûlé. Ce n’est pas une explosion. C’est un effondrement. »

Plusieurs initiatives locales pour soutenir les travailleurs de la santé durement éprouvés par la pandémie ont été mises sur pied. À la suite de la mort de Victoria Salvan, préposée aux bénéficiaires du CHSLD Grace Daert emportée par la COVID-19, une équipe de 150 soignants offre du soutien psychologique aux employés du CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île. Les services du programme d’aide aux employés de l’ensemble du réseau de la santé ont aussi été bonifiés. 

Ce qui manque encore, un mois après que des centaines de psys ont levé la main pour proposer d’unir leurs forces, c’est une coordination des ressources en santé psychologique.

Marika Audet-Lapointe ne jette la pierre à personne. Elle comprend que le ministère de la Santé fait de son mieux dans une situation d’urgence hors du commun. Il doit composer avec des enjeux bureaucratiques complexes. Mais comme bien de ses collègues, elle est inquiète. « Ma préoccupation est que, à force de continuer à relayer à plus tard la priorisation des soins psychologiques, les coûts en détresse psychologique vont être astronomiques, et ce, tant pour le public, les soignants, que pour les psychologues/soignants confrontés à l’impuissance d’agir [en raison d’une] lourdeur administrative et politique qui n’a tout simplement plus aucun sens dans ce défi humanitaire où nous sommes tous plongés. »

François Legault répète à raison jour après jour que l’on a « besoin de bras » dans les CHSLD. Les absents dans le réseau de la santé se comptent par milliers. Quatre mille sont infectés par la COVID-19. Plus de 5500 sont absents pour d’autres raisons. « Entre autres, on le sait, certaines personnes craignent d’attraper le virus, a dit le premier ministre, jeudi. Je pense qu’il ne faut pas porter de jugement, il faut les comprendre. »

On ne peut pas porter de jugement, non. Mais ce qu’on peut faire pour limiter la désertion des équipes de soins, c’est de s’assurer de leur offrir la sécurité physique et psychologique qui leur permettra de poursuivre leur travail sans craquer, croit Marika Audet-Lapointe. S’assurer que personne ne se retrouve seul sur le terrain, complètement vulnérable, avec le sentiment d’être laissé à lui-même. S’assurer que tous soient équipés psychologiquement pour y aller. Pour ça, ça prend une mise en commun du savoir-faire de ceux qui connaissent la gestion sur le terrain de pandémies et de crises humanitaires.

Il ne viendrait pas à l’idée, dans l’armée, de mettre un fantassin, du jour au lendemain, pilote d’avion F-18. Il ne viendrait pas à l’idée d’envoyer un fantassin tout seul sur le terrain. Ils y vont en peloton. Et il y a une raison à ça.

La Dre Marika Audet-Lapointe

Même si l’organisation militaire peut être d’un grand secours dans le contexte, on fait erreur en employant sans cesse une terminologie guerrière pour parler de la COVID-19, souligne la psychologue. De la même façon qu’on fait erreur en parlant de gens qui ont « gagné » ou « perdu » leur « combat » contre le cancer. « La pression que ça met sur les gens… Ça n’a pas de sens. Ils ont perdu quoi ? »

Nous ne sommes pas en guerre. Dans une guerre, l’ennemi est visible. Or, dans le cas de la COVID-19, on parle d’un virus invisible. Vous, moi ou un voisin asymptomatique pouvons être porteurs. Ça ne fait pas de nous des ennemis. « Le danger des métaphores guerrières ou de lutte du type “on va combattre”, “on va vaincre”, c’est que ça contribue à augmenter l’agressivité dans la population. » Une agressivité que l’on peut sentir ces jours-ci à l’épicerie ou sur le trottoir.

En étant tous sur les dents, on perd de vue notre but commun, rappelle la psychologue. Quoi donc ? La vie… « Mettons-nous ensemble pour cultiver la vie, favoriser la résilience, être forts à nous soutenir dans quelque chose qui est excessivement déstabilisant, nouveau, incertain. »

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