La ministre de la Santé et des Services sociaux, Danielle McCann, a annoncé mercredi vouloir faire passer de 30 % à 40 % le volume d’activités chirurgicales dans les hôpitaux de la province. Les médecins spécialistes souhaitent aussi depuis des jours augmenter leurs services. Mais plusieurs enjeux pourraient compliquer les plans, dont la pénurie de médicaments anesthésiants et le manque d’équipements de protection comme les blouses.

« On va reprendre certaines activités chirurgicales. On va monter à des volumes d’autour […] de 40 % dans l’ensemble des hôpitaux du Québec », a dit la ministre McCann en conférence de presse mercredi après-midi. 

Des greffes du foie, des opérations vasculaires, des activités d’imagerie médicale et d’autres interventions semi-urgentes, par exemple, pourront reprendre. Les activités chirurgicales urgentes continueront d’être offertes. Mais « les activités qui peuvent être reportées devraient continuer d’être reportées. Puis les médecins spécialistes qui sont disponibles devraient venir dans les CHSLD », a martelé le premier ministre François Legault.

Le dilemme des régions

Depuis trois semaines, un comité se penche sur la question de la réouverture des salles d’opération au Québec. Afin de faire face à la pandémie de COVID-19, de nombreuses activités avaient cessé dans les hôpitaux depuis six semaines, notamment en chirurgie. Les blocs opératoires fonctionnaient en moyenne à 30 % de leur volume habituel.

Plusieurs questions se posent en lien avec la réouverture des salles d’opération. Par exemple, les régions les moins touchées par la pandémie de COVID-19 pourraient-elles rouvrir à plus de 40 %, voire opérer des patients dont les cas sont peu urgents ?

Président de l’Association québécoise de chirurgie, le Dr Serge Legault craint qu’en ouvrant les régions plus rapidement que Montréal, on ne crée « une iniquité chez les patients ». « Certains se trouveraient à souffrir de leur code postal », dit-il.

En réponse à une question sur la possibilité que des patients montréalais soient opérés en région, le Dr Legault explique que « ça soulève beaucoup de questions ». 

« Est-ce le docteur de Montréal qui suivrait son patient ? Ou c’est plutôt le docteur receveur qui ferait l’opération ? Le patient voudra-t-il être hospitalisé loin de chez lui ? », énumère-t-il.

Médicaments

La réouverture des salles d’opération est intimement liée à la quantité de médicaments disponibles pour anesthésier les patients, comme le propofol. Les stocks de plusieurs de ces produits sont actuellement limités dans plusieurs hôpitaux. « La pénurie est très inégale. Ça change d’un hôpital à l’autre. On n’a pas idée du stock québécois », note le président de l’Association des urologues du Québec, le Dr Steven P. Lapointe. 

« Il y aurait possibilité de faire beaucoup plus d’interventions. Un énorme travail doit être fait pour faire le bilan des stocks », ajoute-t-il.

Pour le Dr Legault, une réouverture progressive des salles d’opération est souhaitable et possible seulement « si on a l’équipement, les médicaments et le personnel » pour le faire. 

Il ne faut pas rouvrir les chirurgies, pour ensuite les refermer. Pour les patients, ce ne serait pas tenable.

Le Dr Serge Legault, président de l’Association québécoise de chirurgie

Président de l’Association des anesthésiologistes du Québec, le Dr Jean-François Courval croit lui aussi que Québec doit établir rapidement un bilan des stocks de médicaments disponibles. 

« Ce que j’ai besoin de savoir, c’est ce qu’on est capable de produire pour que je puisse faire mon métier », dit-il. Le Dr Courval souligne que d’autres molécules existent et peuvent être substituées sans problème aux produits manquants. Il existe aussi d’autres techniques d’anesthésie ne demandant pas ces médicaments. « Donnez-moi les infos, le bilan. L’[état des stocks]. Et laissez-vous soigner », dit-il.

Urgence d’agir

Depuis le début de la semaine, les associations de médecins spécialistes répètent qu’il est urgent de hausser leur volume d’activités. Car des patients en attente d’une intervention voient leur état se dégrader. Le Dr Lapointe explique qu’en temps normal, 28 cas de cancers en urologie sont diagnostiqués chaque jour au Québec. « En huit semaines, ça fait 1600 cas qui n’ont pas été diagnostiqués », note-t-il.

Les médecins spécialistes sont aussi très préoccupés par le fait que les patients, de crainte de contracter la COVID, ne se présentent plus à l’hôpital. Ainsi, la semaine dernière, le CRDS de Montréal — ce guichet unique qui oriente le patient vers une première consultation avec un médecin spécialiste — a reçu 50 % moins de demandes que durant une semaine normale (la comparaison est établie avec la première semaine de mars précédant la pandémie).

« On reçoit moins de requêtes dans le CRDS, au point que nous sommes en train de diminuer des listes d’attente pour certaines spécialités », décrit le Dr Sylvain Chouinard, neurologue au CHUM. Le médecin spécialiste affirme que cette bonne nouvelle en cache une moins bonne. 

« La maladie ne prend pas de pause, alors on craint que ces gens qui ne consultent pas aujourd’hui — soit la moitié moins que d’habitude — nous arrivent trop tard », ajoute-t-il. En neurologie, un patient qui consulte tardivement pour des symptômes annonciateurs d’AVC risque de conserver des dommages permanents au cerveau.

Manque de blouses

En plus de la pénurie de médicaments, un manque de blouses est constaté dans le réseau de la santé. Mardi soir, un message a été envoyé à des employés du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal dans lequel on disait apprendre « en catastrophe que la réserve de blouses est maintenant tombée à un niveau très bas et qu’elle risque d’être épuisée à brève échéance, soit beaucoup plus tôt que ce qui était prévu ».

Un deuxième CIUSSS, celui du Nord-de-l’Île-de-Montréal, a écrit quasi mot pour mot un message dans le même sens à des employés sur « la pénurie de blouses » et « la réserve provinciale tombée à un niveau très bas », réserve qui sera bientôt « épuisée », selon un document que La Presse a obtenu.

Lundi, le premier ministre François Legault soutenait pourtant que le matériel de protection comme les blouses est disponible en quantité suffisante. « Je voyais encore en fin de semaine qu’il y a certaines résidences qui disaient qu’il manquait de matériel de protection. Il n’y a pas de raison à ça. On a assez de matériel de protection. […] Donc, il n’y a pas de problème à court terme avec le matériel de protection », disait-il.

En conférence de presse mercredi, la ministre McCann a assuré que les stocks étaient suffisants, mais ajouté que les cas rapportés étaient plutôt liés à « un problème de distribution ».

Au CHSLD Yvon-Brunet, à Ville-Émard, administré par le CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, on était à court de blouses précisément au moment où la ministre de la Santé assurait, en conférence de presse, qu’il ne manquait pas d’équipements de protection, rapporte un employé de l’endroit, qui a demandé à garder l’anonymat.

« Les gestionnaires, dépassés, nous ont demandé de trouver des idées. Voici celle qui a été retenue : corde à linge fabriquée à l’aide de jeux de société et de crochets à rideaux pour “entreposer” nos jaquettes contaminées afin de les réutiliser de la manière la plus “sécuritaire” », raconte cet employé, qui salue tout de même le travail de l’administration du centre.

PHOTO FOURNIE À LA PRESSE

Des blouses contaminées sont accrochées au CHSLD Yvon-Brunet.

Président du Syndicat des préposés aux bénéficiaires du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, Alain Croteau affirme quant à lui qu’à l’hôpital de Verdun, on demande de réutiliser les blouses au-delà de l’utilisation habituelle. Au CHSLD Champlain, la distribution de blouses se fait avec parcimonie. L’utilisation de chemises de patients ou de blouses blanches (« sarraus ») a été proposée à certains employés afin de remplacer les blouses de protection usuelles.

Le CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal souligne avoir commandé récemment plus de 12 000 blouses lavables justement pour ne plus dépendre des blouses jetables. Son porte-parole Jean-Nicolas Aubé affirme que l’établissement « ne fera jamais de compromis sur la santé de la clientèle et des soignants ».

— Avec Isabelle Ducas, La Presse