Alors que 110 détenus et 55 agents correctionnels ont été infectés par la COVID-19 dans les pénitenciers fédéraux au Québec, une prisonnière de l’Établissement pour femmes de Joliette vient de déposer une demande d'action collective contre le Procureur général du Canada parce que Service correctionnel Canada (SCC) aurait, selon elle, failli dans sa gestion de la pandémie à l’intérieur des murs.

Selon les dernières mises à jour, il y aurait 51 détenues et 34 agent(e)s qui ont été infectés à l’Établissement de Joliette seulement, ce qui en fait le pénitencier le plus touché par la pandémie dans tout le Canada. En revanche, le Syndicat des agents correctionnels du Canada annonce mardi que 22 de ces 34 gardien(ne)s sont maintenant guéris. Mais la prisonnière qui demande l’autorisation d’exercer une action collective le fait également au nom de tous les détenus fédéraux, dans l’ensemble des pénitenciers de la province.

« Ce nombre de cas positifs est directement imputable à l’inaction du SCC. En plus de favoriser la transmission de la COVID-19 aux personnes incarcérées, les fautes commises par le défendeur (SCC) ont pour effet de rendre inhumaines les conditions actuelles d’incarcération des détenus qui sont sous sa garde. Au lieu d’adopter rapidement les mesures qui auraient pu prévenir la transmission de la COVID-19 aux détenu(e)s, les responsables des établissements fédéraux au Québec sont restés inactifs devant la pandémie », peut-on notamment lire dans la demande de 24 pages déposée lundi en Cour supérieure, chambre des actions civiles, à Montréal.

Patiente zéro à Joliette

La demande est faite par Joëlle Beaulieu, détenue à l’Établissement de Joliette depuis un an. Elle réclame 50 $ par jour de détention depuis le 13 mars pour tous les détenus des établissements fédéraux au Québec à titre de dommages-intérêts compensatoires pour les fautes commises par SCC dans sa gestion de la pandémie, 50 $ par jour, depuis le 13 mars, pour tous les détenus fédéraux au Québec, à titre de dommages-intérêts punitifs, et un montant forfaitaire de 500 $ pour tous les détenus fédéraux de la province infectés par la COVID-19, pour le préjudice physique et moral subi en raison de l’angoisse et des inconvénients découlant de leur contamination au coronavirus.

Dans sa demande, Mme Beaulieu explique qu’au début de la crise, elle était affectée au nettoyage à l’Établissement de Joliette et a pris part à trois réunions avec les responsables au cours desquelles elle a demandé des gants et un masque, en vain.

Le 21 mars, elle a ressenti les premiers symptômes. Elle affirme qu’elle faisait 43 degrés de fièvre et qu’on lui a dit de prendre de l’eau et du Tylenol. Elle déclare qu’elle a continué d’être détenue avec les autres prisonnières, d’avoir été déplacée d’unité à quelques reprises, et que ce n’est que le 27 mars que les agents correctionnels ont commencé à porter des gants et un masque.

Le 1er avril, elle a été déclarée positive et isolée des autres, mais trop tard selon elle.

« À sa connaissance, la demanderesse Beaulieu a été le premier cas testé positif à la COVID-19 à l’Établissement de Joliette. Plusieurs autres femmes l’ont été par la suite, et ce, dans les différentes unités où la demanderesse Beaulieu a séjourné. Ces nombreux changements d’unité qui ont été imposés sans explication, à des moments où elle était hautement contagieuse et que les autres personnes qui s’y trouvaient étaient susceptibles d’être infectées à la COVID-19, reflètent le caractère insuffisant, désorganisé et improvisé des mesures mises en oeuvre », écrivent les avocats de la demanderesse, Me Marie-Claude Lacroix et MPhilippe Larochelle, dans leur demande faite avec l'appui de l'Association des avocats et avocates spécialisés en droit carcéral du Québec.

Mme Beaulieu soutient que les détenues auraient dû être confinées plus rapidement et que par son inaction, SCC a laissé la maladie « s’infiltrer dans les murs ». Elle déplore que, selon elle, les mesures adoptées étaient destinées davantage à protéger les agents correctionnels plutôt que les détenues.

Elle affirme que SCC a failli à ses obligations, entre autres, en omettant d’adopter des mesures sévères et globales dès le début de la pandémie, en laissant les établissements improviser sur la manière dont ils allaient gérer la situation, en réagissant tardivement, en omettant d’adopter rapidement des normes d’hygiène de base, en omettant de fournir aux employés et aux détenues du matériel adéquat pour réduire les risques de propagation, en omettant d’isoler dès le départ les détenues présentant des symptômes et en déménageant des individus malades dans plusieurs lieux, infectant par la même occasion les autres personnes s’y trouvant.

Mme Beaulieu accuse SCC d’avoir violé la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous conditions, la Charte canadienne des Droits et Libertés, et la Charte des droits et libertés de la personne du Québec.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le (514) 285-7000, poste 4918, ou écrivez à drenaud@lapresse.ca.