(QUÉBEC) Un coup de frein qui durera deux ans. Dans le meilleur scénario, si tout se passe bien, le Québec retrouvera à la fin de 2021 la situation économique favorable qu’il avait enregistrée en décembre dernier. Mais la mise sur pause de l’économie du Québec risque d’avoir des conséquences permanentes si elle se prolonge au-delà de la mi-mai, prévient le ministre québécois des Finances Eric Girard.

Plutôt silencieux depuis le début de la pandémie, le responsable des finances publiques a accepté une demande d’entrevue soumise par La Presse il y a plusieurs jours. À maintes reprises, il insiste : les prévisions que son ministère peut faire à ce moment-ci « sont encore extrêmement préliminaires et comportent beaucoup d’incertitudes ». Tout dépendra d’abord, bien sûr, de la durée et de l’intensité de la pandémie, de la longueur de l’interruption imposée à l’activité économique, mais aussi « de la force du rebond, et de l’état de nos partenaires économiques », explique-t-il.

Chose certaine, devant la catastrophe appréhendée, le gouvernement du Québec, le fédéral et la Banque du Canada auront répondu présent, insiste-t-il. « En cinq semaines, on aura mis de l’avant autant de mesures pour stimuler l’économie qu’en 24 mois lors de la crise financière de 2008-2009 », observe-t-il. M. Girard compte déposer à l’Assemblée nationale une déclaration « complémentaire » pour mettre à jour son budget du 10 mars, idéalement à la fin de juin.

On ne parle pas de destruction de l’économie, c’est une interruption. Mais il est certain que plus elle se prolonge, plus les séquelles seront permanentes.

Eric Girard, ministre des Finances

Plus le temps passera et plus le nombre d’entreprises qui devront fermer leurs portes définitivement sera important. Dans des secteurs comme l’aviation, le tourisme, les loisirs, la culture, les conséquences seront importantes. « Il y a des entreprises qui ne passeront pas au travers. Par exemple, il n’y aura pas beaucoup de croisières à Québec cet été, le secteur du tourisme sera affecté. »

Comme à Ottawa, le coup de frein imposé à l’économie a des conséquences gigantesques sur les finances publiques. Au budget du début de mars, Québec prévoyait une croissance de 2 % du produit intérieur brut (PIB), alors qu’on s’attend désormais à un recul « d’environ 5 %, soit quelque part entre 4 et 6 % » du PIB pour l’année 2020. Le Fonds monétaire international prévoyait mardi un recul de 6,2 % de l’économie canadienne. La semaine dernière, le Directeur parlementaire du budget à Ottawa prévoyait un recul de 5,1 %. Le Québec est frappé un peu différemment des autres provinces ; il bénéficie davantage de la baisse du prix du pétrole, mais en revanche, le confinement aura été ici plus long qu’ailleurs, explique le ministre Girard.

Conséquence ? Le déficit du Québec pour 2020-2021 s’établira entre 12 et 15 milliards – soit environ 3,5 % du PIB. Le retour au déficit zéro reste au menu, mais il faudra entre trois et cinq ans pour retrouver l’équilibre budgétaire, estime M. Girard. La baisse des recettes du gouvernement sera d’environ 7 %. Il ne veut pas spéculer sur le niveau du chômage au Québec pour l’année 2020 ; on était en dessous de 5 % avant la pandémie, mais pour avril, on dépasse probablement les 15 %, selon lui. À Ottawa, la pandémie aura fait passer le déficit de 28 à 184 milliards, selon le Directeur du budget, mais l’impact sera réduit de façon importante une fois que seront imposées les mesures d’aide accordées par le gouvernement Trudeau.

Pas de hausses d’impôts

Mais pas question de hausser les taxes et les impôts pour éponger cette encre rouge. « On l’a déjà dit et on le dit encore, pas question d’augmenter le fardeau fiscal des contribuables », souligne le ministre.

Le plus récent budget prévoyait une croissance de 5 % des dépenses en santé, presque autant en éducation : on gardera ce cap. Mais dans les autres activités gouvernementales, les efforts seront distribués différemment. « Je ne pense pas que je serai interpellé souvent à l’Assemblée nationale sur la pénurie de main-d’œuvre », illustre le ministre Girard. Le Plan d’économie verte du ministre Benoit Charette n’est pas moins important, mais il portait sur une période allant jusqu’en 2030, observe-t-il. On peut penser qu’avec l’économie en cale sèche, la Bourse du carbone ne livrera pas beaucoup de revenus. La pause aura eu un impact positif sur l’environnement, dira-t-il avec une pointe d’ironie.

Pour la relance, Québec misera beaucoup sur son Plan québécois des infrastructures ; ses dépenses totalisant 130 milliards sur 10 ans seront devancées, prévoit M. Girard. « Le gouvernement a un rôle à jouer dans la reprise. »

Jusqu’ici, les mesures annoncées par Québec pour parer à la pandémie totalisent environ 20 milliards, mais les trois quarts de cette somme sont des reports de paiements d’impôts – des acomptes provisionnels, par exemple – qui seront récupérés après quelques mois. Les déboursés plus tangibles liés à la pandémie de COVID-19, pour la santé et l’économie, sont d’environ 4 milliards… pour l’instant.