Aujourd’hui, La Presse révèle la liste du ministère de la Santé qui montre quels CHSLD et RPA sont particulièrement frappés par des éclosions de coronavirus.

>>> Lisez l'article Dix résidences classées «rouge»

Il y a quelque temps, La Presse a tenté d’avoir accès au nombre de cas et de décès dans ces lieux d'hébergement, à la suggestion de plusieurs lecteurs inquiets qui se demandaient : ma mère, mon père habitent-ils dans un foyer d’éclosion ?

Réponse de Québec : cette information est compilée par les directions de santé publique locales et est confidentielle. 

Le Québec est au cœur d’une pandémie qui frappe au premier chef les immeubles où les vieux vivent et…

Et le gouvernement du Québec n’avait pas de liste pour déterminer les endroits où agir en priorité ?

Pas rassurant !

Puis, le ministère de la Santé a invité nos journalistes à sonder les CIUSSS et les CISSS… un par un.

Combien y a-t-il de CIUSSS et de CISSS au Québec ? Il y en a 22. C’est la façon dont le ministère de la Santé dit fuck you aux Québécois : en invitant les journalistes à appeler 22 patentes à gosse pour avoir de l’information de base.

Pourquoi les Québécois et les Québécoises qui n’ont pas le droit de visiter leurs vieux parents n’ont-ils pas le droit de savoir si la résidence privée (RPA) de maman ou le CHSLD de papa est sujet à une éclosion ?

Ou, info rassurante, si le foyer où le parent aimé habite est épargné par le mal invisible ?

Pandémie ou pas, l’appareil d’État aime l’opacité.

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Maintenant, parlant de transparence, peut-on se dire les vraies affaires ?

Il y a des endroits frappés par des éclosions de COVID-19 qui ont été ou qui sont encore des zones sinistrées, qui fonctionnent à effectifs très, très réduits. Selon nos informations, le CHSLD François-Perreault de Montréal a frôlé la rupture de services au début du mois.

Un « bris de service », c’est quand les services de base comme la distribution des plateaux de repas, le lavage des résidants et le changement de leurs couches ne peuvent pas être fournis comme d’habitude.

Pourquoi ?

Manque de personnel.

Pourquoi, le manque de personnel ?

Trois raisons : un, pénurie de main-d’œuvre chronique ; deux, employés infectés à la COVID-19 et donc indisponibles ; et trois, employés qui se déclarent malades parce qu’ils ont peur d’être infectés à la COVID…

Pour le troisième point, il faut le dire et le répéter : contrairement à plusieurs déclarations du trio santé dans les points de presse de 13 h, début avril, on manquait bel et bien de masques et de blouses dans les RPA et dans les CHSLD.

Ceci expliquant cela, résidants et employés ont été infectés. Voyez le CHSLD Sainte-Dorothée de Laval.

La situation est catastrophique, en certains endroits. On me raconte que dans un CHSLD frappé par la COVID — pour protéger la source, je ne dirai pas lequel —, une infirmière d’hôpital qui s’était portée volontaire pour aller donner un coup de main a préféré rebrousser chemin quand elle a vu les conditions de misère dans lesquelles on s’occupait des malades…

Pas de masques N95, rideaux de douche séparant des patients infectés et des patients non infectés, pas de réflexe de décontamination, employés qui passent de chambres « chaudes » à « froides » sans se changer, manque de blouses et manque de bras : cette infirmière a décidé qu’elle n’allait pas contracter la COVID-19 parce que ce CHSLD est désorganisé.

Ce n’est pas comme ça partout. Mais les médias ont exposé depuis quelques jours quelques-uns des endroits où c’est exactement comme ça, comme Sainte-Dorothée, comme Herron, comme LaSalle. La liste révélée par La Presse en fait le portrait, bien sûr imprécis parce que la situation change vite.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Une résidante du CHSLD Herron

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Parlons de leadership, maintenant.

Je cite un médecin qui occupe un poste de gestionnaire à Montréal, qui est heureux de voir que les urgences et les soins intensifs des hôpitaux ne sont pas submergés comme les hôpitaux italiens l’ont été : « Ils attendent quoi, à Québec, pour arriver avec un plan pour redéployer ces effectifs dans les CHSLD ? »

On a commencé à comprendre l’ampleur de la déroute dans les CHSLD et dans les RPA – où habitent nos vieux – il y a quoi, une semaine environ ?

C’est la catastrophe du CHSLD Sainte-Dorothée à Laval qui a forcé un moment de clarté dans l’imaginaire collectif : non, ça ne va pas si bien que ça. Puis, ce fut le CHSLD privé Herron.

Il y a des gens dans le réseau qui se demandent pourquoi Québec n’a pas déjà accouché d’un plan pour les CHSLD, une semaine après la débâcle de Sainte-Dorothée.

La réponse est à Québec. Elle se fait encore attendre.

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Chez les artisans du réseau, dans les couloirs des CHSLD et des RPA, on trouve des réservoirs immenses de bonne volonté et même d’héroïsme. Il faut le dire. Et le redire.

Mais en plus d’un manque d’équipement et de personnel, les CHSLD et les RPA souffrent d’un manque de direction et de leadership au-dessus de leur tête.

On a vanté à juste titre les talents de communicateur de François Legault dans cette crise. Je ne parle pas ici de forme, mais de fond : sans son leadership, les Québécois n’auraient jamais adhéré aux mesures de distanciation sociale cruciales pour dompter le coronavirus. Ce qui aurait été catastrophique.

Mais il est temps que le PM fasse preuve du même leadership pour sauver les CHSLD et les RPA qui sont dans la liste des établissements particulièrement touchés par des éclosions de coronavirus.

Et si les nombreuses strates entre le trio santé et le plancher — sous-ministres, PDG et PDG-A de CISSS et de CIUSSS — nuisent à un plan pour sauver les vieux qui peuvent encore l’être, c’est au politique d’aplatir ces strates.

Et si on n’a pas les bras, et si on n’a pas l’équipement pour faire la job dans les CHSLD et RPA en zone rouge, permettez-moi de rappeler qu’il y a une institution au Canada qui possède des bras, de l’équipement et de l’expertise : l’armée canadienne.

On me dira : on n’est pas rendus là !

OK…

Mais on en est où, là, maintenant, dans les CHSLD et RPA qui figurent dans la liste que Québec voulait cacher ?