Durant les périodes difficiles, les temples sont souvent des refuges privilégiés pour les croyants inquiets. Mais pas en ces temps de COVID-19. Cette année, chrétiens et juifs ont dû inventer de nouvelles manières de célébrer leurs Pâques.

« Je pense qu’il faut remonter au temps des persécutions pour avoir des interdictions de célébrer la messe. »

Christian Lépine, archevêque de Montréal, vit ses Pâques dans la résidence attenante à la cathédrale Marie-Reine-du-Monde, où habitent une quinzaine d’autres prêtres. Pendant la semaine sainte, Mgr Lépine a demandé à toutes ses ouailles de mettre une lumière à leur fenêtre le jeudi et le samedi pour témoigner de leur foi.

Depuis un mois, les fidèles doivent célébrer la messe à distance, par vidéo ou à la télévision. La messe du dimanche des Rameaux pour les jeunes, célébrée comme d’habitude samedi de la semaine dernière, a attiré 2000 connexions. « On avait demandé aux jeunes d’envoyer leurs croix de Journées mondiales de la jeunesse, qu’on avait déposées sur l’autel dans la cathédrale », dit Isabel Correa, responsable des médias sociaux à l’archidiocèse. 

« Et on ne veut pas seulement un prêtre qui est filmé, on veut de l’interaction. D’habitude, on a 2000 jeunes pour la messe des Rameaux. Là, c’était 2000 connexions, donc plus de gens que normalement. »

Chaque paroisse s’adapte à sa manière. « Dimanche, pour la messe de Pâques, une église à Laval mettra sur les bancs des photos d’enfants envoyées par chaque famille », dit Mme Correa. 

PHOTO FOURNIE PAR L'ARCHIDIOCÈSE DE MONTRÉAL

Dessin réalisé par Clara Anne Del Pio, 6 ans

« La paroisse Saint-Luc, à Dollard-des-Ormeaux, a demandé à tout le monde d’envoyer des photos de leur porte d’entrée décorée pour les Rameaux. À Holy Name of Jesus, à Laval, on fait le chapelet en famille par internet avec de l’interactivité, trois fois par semaine. Il y a des projets de retraites par internet, et le centre Newman, à l’Université McGill, va commencer la semaine prochaine des cours sur le récit biblique des souffrances de Job. »

Le secrétaire de Mgr Lépine, Jean-Chrysostome Zoloshi, a de son côté mis sur pied une messe par le service de vidéoconférence Zoom, qui attire près d’une centaine de connexions chaque dimanche et tous les soirs cette semaine.

PHOTO FOURNIE PAR L'ABBÉ ZOLOSHI

L'abbé Jean-Chrysostome Zoloshi organise à Montréal des messes Zoom de rite zaïrois auxquelles participent près d'une centaine de familles.

« C’est une messe de rite zaïrois, avec de la danse et des chants », dit Justine Kabila, qui a organisé la messe Zoom avec son mari. 

J’ai dit à l’abbé : pourquoi on ne peut pas prier comme chez nous ? Ça nous manque. Pour le dimanche des Rameaux, on demandait aux gens de mettre une plante derrière eux, ou un pagne.

Justine Kabila

Selon le récit des Évangiles, Jésus, en entrant à Jérusalem sur son âne, a été accueilli par des fidèles qui étendaient des pagnes et des rameaux devant lui, indique l’abbé Zoloshi.

Le minian

La prohibition des rassemblements pose particulièrement problème pour les juifs orthodoxes. Le « minian », une prière collective, doit réunir au moins 10 hommes. 

« Dans le Mile End et Outremont, on vit très rapprochés, alors si les gens sortent sur leur balcon pour prier, généralement ils peuvent voir et entendre au moins 10 personnes », dit Abraham Ekstein, un juif hassidique satmar. « Dans mon immeuble, on a distribué aux voisins une feuille pour expliquer qu’on allait prier dehors sur notre balcon plusieurs fois par jour cette semaine. »

Autre adaptation, la tradition de brûler du pain en groupe, le matin de la veille de la Pâque juive, cette année le mercredi 8 avril. 

Normalement, tous les aliments et l’équipement de cuisine doivent être purifiés avant la Pâque. « Les rabbins ont dit qu’on pourrait faire ça chez nous, en brûlant 10 morceaux de pain dans notre barbecue, en l’aspergeant d’eau de Javel ou en le mettant dans la toilette », dit Zvi Hershcovich, un juif hassidique loubavitch de Côte-Saint-Luc.

PHOTO FOURNIE PAR ZVI HERSHCOVICH

Zvi Hershcovich et ses enfants accomplissent le rituel pascal de brûler du pain à la maison plutôt qu’en groupe.

« Moi, j’utilise un appareil inventé par mon père pour brûler le pain. D’habitude, on fait ça chez lui. Cette année, il en a fabriqué un pour moi. »

Affrontement rabbinique

La COVID-19 a même donné lieu à des affrontements rabbiniques en Israël. Un ancien juge rabbinique a affirmé aux médias qu’il serait possible de rester connecté par Zoom avec ses proches pour le traditionnel séder, le souper de la veille de Pâque (mercredi soir), si on allumait Zoom avant la tombée du jour et qu’on le laissait allumé. Chez les juifs orthodoxes, il est courant de laisser les lumières allumées toute la nuit durant le shabbat, pour respecter la prohibition de tout travail. 

Mais les grands rabbins ont par la suite rectifié le tir, interdisant la pratique.

« Prier avec mes proches par vidéo plutôt que dans la synagogue m’a rapproché du sens des prières », explique Yitzchak Mechaly, un juif hassidique breslev de Côte-Saint-Luc. 

Normalement, on va trois fois par jour à la synagogue cette semaine, là ça a dû se faire par vidéo. Mais nous, les Breslevs, sommes habitués à l’isolement. Notre fondateur insistait pour que chaque fidèle fasse une heure de réflexion individuelle par jour.

Yitzchak Mechaly

Aucun des quatre juifs hassidiques québécois interviewés par La Presse n’envisageait de faire son séder par vidéo.

Ari Weiser, un juif hassidique tosh de Boisbriand, a quant à lui découvert l’A B C de la Pâque juive avec la COVID-19. « J’ai 25 ans, je n’ai qu’un seul enfant, alors je faisais la Pâque chez mes parents jusqu’à cette année, dit M. Weiser. J’ai dû demander au rabbin comment purifier les pièces de métal sur ma cuisinière au gaz. » M. Weiser vit à l’extérieur du quartier hassidique de Kyrias Tosh, à Boisbriand, donc il ne peut prier en minian depuis son balcon.

L’A B C des Pâques

Les Pâques chrétiennes rappellent la « Passion » du Christ sur la croix et sont célébrées au terme de la « Semaine sainte ». Selon le récit des Évangiles, Jésus, après avoir fait une entrée triomphale dans Jérusalem (le dimanche des Rameaux), prend un dernier repas avec ses 12 disciples le jeudi soir. Le lendemain, il est arrêté par les autorités puis condamné par le préfet Ponce Pilate, avant d’être crucifié. Le dimanche (Pâques), les proches de Jésus constatent que son corps n’est plus dans la caverne où il reposait, sous la garde d’un soldat : il est ressuscité, sa mort sert à effacer les « péchés » de l’humanité. La Pâque juive (sans « s »), quant à elle, commémore la sortie d’Égypte, sous la gouverne de Moïse, des Juifs qui y étaient esclaves, et leur retour en Israël. Incidemment, Ponce Pilate, comme c’est la coutume à Pâque au temps de Jésus, offre à la population de Jérusalem la possibilité de gracier un condamné. C’est un criminel, Barabbas, qui est choisi par la foule, plutôt que Jésus, ce qui a donné naissance à l’expression « connu comme Barabbas dans la Passion ».