Les épisodes au cours desquels les écoles doivent fermer sont extrêmement rares au Québec. Dans d’autres régions du monde, des conflits armés ou des catastrophes naturelles forcent périodiquement les enfants à faire l’école autrement dans des conditions extrêmement difficiles, par exemple dans des camps de réfugiés. Olivier Arvisais est spécialiste de l’éducation en temps de crise et coprésident scientifique de la Chaire UNESCO de développement curriculaire de l’Université du Québec à Montréal. Nous l’avons joint cette semaine pour en discuter.

Peut-on comparer ce qui se passe au Québec avec ce que vous avez vu ailleurs dans le monde ?

Il y a certains parallèles à tracer. On sait, par exemple, que les arrêts prolongés dans le parcours scolaire représentent un problème pour certains élèves qui sont en difficulté d’apprentissage ou bénéficient de moins grandes ressources. On constate des baisses dans les résultats scolaires, dans la motivation et l’intérêt des élèves. Ç’a été bien mesuré. On constate aussi que ça affecte la persévérance scolaire, il y a davantage d’absentéisme et de décrochage pour les élèves à risque.

Par contre, ce sont des contextes où on n’a pas accès au même type de ressources, où le niveau d’éducation de la population et le soutien des parents n’est pas du tout le même. Dans une crise humanitaire, on concilie avec des activités qui permettent de rester en vie, comme avoir un accès à de la nourriture et de l’eau potable. C’est beaucoup plus complexe que ce que l’on vit, ce qui n’enlève rien au stress que les parents d’ici vivent actuellement.

Les élèves vulnérables le seront-ils davantage après la crise ?

Peut-être pas tous, mais chez certains, ça peut exacerber certaines vulnérabilités. Ce qui est souvent difficile pour ces élèves, c’est le rythme de rattrapage qui est exigeant au retour à l’école. On voit une baisse de motivation et d’intérêt chez les élèves qui peinent à rattraper.

On peut s’attendre à ce qu’il y ait des différences importantes avec certains élèves qui auront eu la chance de faire des activités éducatives avec leurs parents à la maison, qui auront eu davantage d’apprentissages.

PHOTO FOURNIE PAR OLIVIER ARVISAIS

Olivier Arvisais, spécialiste de l’éducation en temps de crise

Comment jugez-vous les mesures mises en place par le ministère de l’Éducation jusqu’ici ?

L’envoi de matériel scolaire par la poste est une excellente idée pour réduire certaines inégalités.

Cette idée de demander aux enseignants de prendre contact avec les parents, d’assurer un suivi, c’est ce que des collègues et moi avons souhaité, mais peut-être que ça aurait pu arriver un peu plus rapidement.

Les enseignants ont un rôle très important à jouer et c’est eux qui sont le plus en mesure de pallier les inégalités chez certains élèves en soutenant davantage les parents qui en ont besoin. On le voit en situation d’urgence ailleurs dans le monde. On sait que l’effet des enseignants est déterminant sur le maintien des apprentissages, la motivation et la persévérance scolaire.

Que devraient donc faire les enseignants ?

Je ne veux pas m’immiscer dans les directives du Ministère, mais je privilégierais un contact régulier une ou deux fois par semaine avec les élèves – pas juste avec les parents – et l’envoi de directives pour permettre aux parents d’organiser leur semaine, avec, par exemple, un plan de match. On peut ensuite demander au téléphone comment ça se passe, quelles sont les embûches des parents, quelles sont leurs questions. Ce serait la stratégie minimale à privilégier.

Vous dites que l’éducation joue un rôle de protection essentiel. Pourquoi ?

Beaucoup d’enfants vivent dans des milieux qui ne sont pas faciles et l’école contribue à les protéger, à les soutenir. Soudainement, ça disparaît, et pour des élèves, c’est problématique. Pour beaucoup d’élèves, passer du temps dans un milieu scolaire entouré de professionnels offre une protection. Ne serait-ce que d’un point de vue alimentaire, avoir un déjeuner, un lunch, c’est un rôle de protection de l’enfance.

Y a-t-il une durée au-delà de laquelle l’absence d’école commence à devenir vraiment problématique ?

C’est difficile à déterminer. Dans un système bien établi comme ici, ça peut être assez long parce qu’on est capable de pallier sans qu’il y ait des effets dramatiques.

Mais si on devait terminer l’année scolaire de cette façon et rentrer à l’école en septembre, il y aura des impacts et il faudra travailler plus fort, déployer davantage de ressources dans des écoles qui sont déjà sous-financées. Si on a manqué quelques mois comme le scénario semble l’annoncer, ça aura un impact significatif. Les enseignants vont avoir besoin de ressources pour aider les élèves.

Devrait-on commencer maintenant à préparer l’après-crise ?

On est encore dans la phase aiguë de la crise, mais si on retourne seulement en septembre, il faudra commencer à y réfléchir dès le mois de juin pour s’assurer que ça se passe bien pour tout le monde.

Y a-t-il des exemples de pays où les enfants passent bien à travers de longues périodes sans aller en classe ?

Partout ! Il y a beaucoup d’endroits, que ce soit en Afrique subsaharienne ou au Moyen-Orient, où les conflits armés ou les catastrophes naturelles font que sur une base assez cyclique, les écoles doivent fermer pour quelques semaines, quelques mois, parfois même quelques années.

Dans ces contextes, il y a beaucoup de résilience et des stratégies très diversifiées ont été développées avec le temps. Il y a plein d’endroits où la radio ou la télé éducative est quelque chose d’assez courant, comme en Irak, par exemple. Souvent, ça se met en branle super rapidement. On ferme les écoles et le lendemain, tout est en place pour que les élèves du primaire ou du secondaire puissent continuer des activités éducatives à distance, en ligne, à la radio ou à la télé.

Ce n’est pas étonnant que notre système éducatif ne soit pas préparé à ça, ce n’est pas quelque chose qu’on vit habituellement, mais il y a plein d’endroits dans le monde où c’est un peu la routine.

* Cette entrevue a été éditée à des fins de concision.