(QUÉBEC) Ils y ont pensé brièvement. La cause a vite été entendue. Il n’était pas question pour François Legault de mettre de côté la stratégie des points de presse quotidiens sur la crise de la COVID-19. Cela sera maintenu pour le mois d’avril, « qui va être très difficile ». « La vague va arriver », confie-t-on dans l’orbite de ceux qui, quotidiennement, préparent ces rendez-vous avec la presse.

Les annonces publiques diffèrent passablement des décisions prises en coulisses. Hier, M. Legault faisait grand cas d’une majoration de 4 $ l’heure pour les préposés aux bénéficiaires; des bonifications de 287 millions de dollars pour les salariés de la santé qui combattent en première ligne. Derrière le paravent, le Conseil du trésor a transmis en même temps un ordre formel, un gel absolu de toutes les dépenses. 

« Tous les nouveaux programmes, les renouvellements de programme d’aide financière qui ne sont pas reliés à la pandémie, […] qui ne sont pas jugés essentiels et incontournables ne seront pas autorisés par le Conseil du trésor. » Heures supplémentaires, remboursement de dépenses, contrats, subventions : on impose la frugalité. Et chaque nouvelle embauche devra être autorisée par le Trésor, explique une note interne obtenue par La Presse.

Après trois semaines de ces entretiens journaliers, des fissures apparaissent plus régulièrement dans le message. 

François Legault a mal paru cette semaine, mais l’Ontarien Doug Ford avait bel et bien offert de l’équipement et non seulement un contact pour en commander, assure-t-on. Mais devant l’embarras politique du patron de Queen’s Park, Legault a vite coopéré pour tendre une bouée à son nouvel ami. Aussi, depuis la semaine dernière, le gouvernement sait très bien que le réseau des résidences de personnes âgées a été touché par la propagation du virus. Au moment où on n’évoquait que Lavaltrie et Sherbrooke, l’ennemi avait été débusqué à plusieurs autres endroits. Mercredi, on parlait finalement de 519 établissements, sur 2200, il faut le rappeler.

PHOTO PATRICE LAROCHE, LE SOLEIL

François Legault, premier ministre du Québec, tout juste avant son point de presse quotidien, jeudi

La semaine dernière, la ministre Danielle McCann soutenait que les travailleurs de la santé avaient tout le matériel nécessaire pour les semaines à venir. Mardi, François Legault a projeté une lumière crue sur ces prévisions rassurantes. Les stocks dureraient de trois à sept jours. En fait, au bout de trois jours on aurait manqué de blouses, ces survêtements nécessaires aux employés qui traitent un patient. On avait des gants et les fameux masques N95 pour une semaine. Surtout, la vitesse avec laquelle certains établissements vidaient leur réserve de gants inquiétait la Santé publique.

Ces conférences de presse quotidiennes seraient une épreuve, même pour un équilibriste. Il faut rassurer la population, mais en même temps être assez ferme pour qu’elle ne baisse pas la garde. 

Des fissures

Quand, la semaine dernière, François Legault a ordonné la fermeture de toutes les entreprises jugées non essentielles, il n’avait pas encore en main une liste, même approximative, de ce qui était touché. Des sources disent qu’il était très mécontent, contrarié de devoir plonger ainsi publiquement, sans filet. Les questions des journalistes ont par la suite mis en relief toute l’improvisation de l’annonce.

D’autres expliquent que c’est lui qui avait dès lors décidé de bouger vite, sans attendre qu’on ait défini les tenants et aboutissants. Ainsi, la population prendrait conscience de la gravité de la situation. Même les experts de la Santé publique ne pensaient pas que le « politique » bougerait si vite. Les notaires sont-ils couverts ? Qu’arrive-t-il des alumineries qui subiraient comme une catastrophe l’interruption de la production ? Un Dollarama qui vend aussi des produits alimentaires pourra-t-il ouvrir ses portes ? 

Les questions sans réponses étaient nombreuses. Et dans les minutes qui ont suivi, le gouvernement a reçu un véritable tsunami de démarches d’entreprises, de lobbyistes, d’associations revendiquant un statut particulier pour leur secteur.

D’autres fausses balles récentes. Un jour, le Dr Arruda affirme qu’il n’y a pas de contamination communautaire; le lendemain, c’est la seule explication pour une flambée de 300 nouveaux cas dans l’île de Montréal. Des blessés collatéraux : Jean-François Roberge, le titulaire de l’Éducation, qui a eu du mal à expliquer les conséquences des décisions pour les élèves et les étudiants; Geneviève Guilbault, la responsable de la Sécurité publique, qui, par maladresse, a révélé que le gouvernement avait été informé plusieurs jours à l’avance de la décision du Directeur des poursuites criminelles et pénales dans le dossier du patron de la Sûreté du Québec, Martin Prud’homme. 

« Envoye à maison ! »

En amont de ces points de presse quotidiens, une série de réunions et d’échanges se tiennent en continu. Dès 7 h 30, le cabinet du premier ministre fait le point sur la situation économique. Pendant une trentaine de minutes, Martin Koskinen, le chef de cabinet, échange avec les ministres Eric Girard (Finances), Pierre Fitzgibbon (Économie) et Jean Boulet (Travail). Vers 8 h, une note émanant de la Santé publique et du ministère de la Santé est transmise au cabinet de François Legault. On y voit la progression des chiffres, et des notes explicatives. Vers 9 h 30, avec M. Koskinen, la ministre McCann, le Dr Horacio Arruda, le secrétaire général, Yves Ouellet, Yves Gendron, sous-ministre de la Santé, et Brigitte Pelletier, de la Sécurité publique, discutent des constats.

Après ce « débroussaillage », on rencontre François Legault qui, en début d’après-midi, devra affronter les questions des journalistes. Ces derniers, meurtris par l’étiquette de « merveilleux pigeons voyageurs » que leur a décernée le Dr Arruda, sont coincés entre l’arbre et l’écorce; trop conciliants, ils n’obtiendront que des réponses évasives, trop agressifs, ils s’exposent à un torrent de critiques sur les réseaux sociaux. 

Il faut rappeler qu’il y a deux semaines, 85 % des Québécois étaient satisfaits de la gestion de la crise par M. Legault. Il bénéficiait alors de la comparaison avec un Justin Trudeau qui semblait erratique, absent.

Avec MM. Legault et Koskinen, s’ajoute la ligne d’attaque, celle des communicateurs chargés de mettre le message en capsules. « Ça va bien aller », le Québec « sur pause » et « Envoye à maison », des lignes de presse pondues par Stéphane Gobeil, le rédacteur des discours qui, dans une autre vie, tenait la plume pour Pauline Marois.

L’étiquette des « anges gardiens » pour les employés de la santé, c’est plutôt l’idée de M. Koskinen. L’attaché de presse Manuel Dionne et le stratège Guillaume Simard Leduc sont présents, tout comme Michel Léveillé, le haut fonctionnaire responsable des publicités gouvernementales – un budget de 9 millions de dollars par mois durant la crise.

Aplanir la courbe pour éviter que le nombre de patients dans le système de santé n’explose. Chaque jour, le Dr Arruda fait des pieds et des mains pour illustrer l’objectif. Fatigué lui aussi – il vient d’embaucher son ancien patron, le Dr Richard Massé, ex-directeur de santé publique, pour lui prêter main-forte. En coulisses à la Santé publique, on espérait que le Québec aurait atteint la pointe de la pandémie à Pâques; on est conscient désormais qu’il faudra attendre au moins une semaine de plus.