L’affluence de visiteurs dans les chalets et résidences secondaires, en contradiction avec les consignes d’éviter les déplacements entre régions et provinces, suscite de la grogne dans plusieurs régions.

Dès que la station de ski Le Massif de Charlevoix a fermé ses pentes, Johanne Paré et Pierre Jacob en ont fait autant avec les deux unités qu’ils louent à des touristes à Petite-Rivière-Saint-François. « Le but, c’est de ne pas recevoir de clients qui viennent ici pour se protéger et amènent le virus dans Charlevoix », explique Mme Paré en entrevue téléphonique avec La Presse. Mais c’est loin d’être la norme, a-t-elle constaté en marchant dans les environs jeudi. « Les chalets sont loués. Ce ne sont pas les propriétaires, mais des gens de Montréal. »

Les directives contradictoires reçues cette semaine ajoutent aux inquiétudes du couple.

Lundi après-midi, la municipalité a ordonné aux résidences de tourisme de fermer leurs portes mardi à minuit au plus tard, comme tous les commerces de la province.

Mais jeudi matin, la Corporation de l’industrie touristique du Québec (CITQ) les a informés que les hôtels et les résidences de tourisme, qui sont reconnus comme services essentiels, peuvent poursuivre leurs opérations. Et le fait que la CITQ demande aux établissements de faire respecter les directives de santé publique ne les rassure aucunement.

PHOTO FOURNIE PAR PIERRE JACOB ET JOHANNE PARÉ

Pierre Jacob et Johanne Paré, copropriétaires d'Horizon Bleu, une résidence touristique de deux unités à Petite-Rivière-Saint-François dans Charlevoix

« Qui pourrait contrôler que c’est une urgence ou non ? », demande Pierre Jacob.

« Un service essentiel, c’est de transformer un hôtel en hôpital, pas de venir en quarantaine ici ! », s’indigne Johanne Paré.

L'avis de Québec

Le premier ministre François Legault estime pour sa part qu’il n’y a pas de problème à ce que les gens de Montréal aillent dans un chalet en région, mais leur demande d’apporter de la nourriture « pour un bon bout de temps ». Cela devient seulement problématique si les gens se rendent à l’épicerie et entrent en contact avec des gens.

« Aller s’isoler dans un chalet dans une autre région, ce n’est pas un problème. C’est être en contact avec les gens de ces régions. L’épicerie, faites-le faire par quelqu’un d’autre si vous y tenez », a conseillé M. Legault.

À Entrelacs, dans Lanaudière, François Clément venait tout juste de terminer la construction du Hibou, le dernier chalet de son domaine de 15 unités, la fin de semaine dernière. Il avait prévu d’ouvrir une bouteille de champagne. Il a plutôt annulé toutes ses réservations, en réponse à la directive gouvernementale d’éviter les déplacements non essentiels entre les régions.

Il faut faire ce qu’il faut pour que ça ne dure pas trop longtemps.

François Clément, propriétaire de Chalets Évasion

Il a quand même continué à recevoir des appels. « Il y a des gens qui ont vu notre annonce sur Facebook et qui ont dit : “Est-ce qu’on peut y aller quand même ?” », témoigne-t-il.

Les Escoumins, sur la Côte-Nord, a demandé à tous les arrivants de s’isoler durant 14 jours. « Nous savons que des gens de l’extérieur ont décidé de passer la crise du coronavirus/COVID-19 ici, pour se sentir plus en sécurité et nous les comprenons », a cependant indiqué la municipalité sur sa page Facebook.

Résidante à l’année, Françoise Guérette déplore que l’administration approuve ces déplacements. « Ça m’a choquée parce que nous, on prend des précautions. Il me semble que le gouvernement a dit de rester dans notre région », dit cette retraitée du secteur de la santé.

Devant les plaintes de leurs citoyens inquiets de l’afflux de visiteurs ontariens, des MRC de l’Outaouais ont demandé à Québec de restreindre la circulation entre les deux provinces aux déplacements essentiels.

Mais les chalets de l’Outaouais ne sont pas les seuls à attirer des visiteurs de l’extérieur de la province, a constaté Josée Ste-Marie en se rendant à l’épicerie de Saint-Jovite, samedi dernier. « Il y avait tellement de monde, le stationnement était plein, avec des plaques de l’Ontario et de New York. » Elle a décidé d’attendre à lundi. En vain. « Il y avait autant de monde et ça ne respectait pas nécessairement les consignes de distance aux caisses », a-t-elle constaté. « J’imagine que si les frontières sont fermées, ça va se résorber », espère celle qui travaille comme aide familiale pour des médecins.

Céline Gosselin, artiste peintre à Gore, dans les Laurentides, a l’habitude de croiser des résidants de Hawkesbury, en Ontario, et des visiteurs allant vers Mont-Tremblant lorsqu’elle fait ses courses à Lachute. Avec les directives actuelles, elle se serait attendue à ce qu’il y ait moins d’affluence. Mais ce n’est pas le cas, a-t-elle constaté cette semaine. « Je suis asthmatique, je fais de l’apnée du sommeil, je suis à risque », explique-t-elle. Elle ne sort que pour aller à Lachute, et pas plus d’une fois par semaine, mais ça l’inquiète. « Dès qu’il y a du monde, on dirait qu’il y a une foule. »

Les résidences touristiques et la clientèle qu’elles attirent sont importantes pour l’économie de plusieurs régions. Mais à Saint-Adolphe-d’Howard, dans les Laurentides, le maire n’a pas tergiversé. En plus d’un avis public, il a écrit aux propriétaires des 120 résidences de tourisme enregistrées sur son territoire lundi pour leur demander « de façon urgente et immédiate » de suspendre leurs locations à court terme – sans se demander s’il ferait des mécontents.

« Je ne suis pas content d’avoir à faire des mises à pied ni d’être confiné à l’hôtel de ville de 15 à 16 heures par jour », souligne Claude Charbonneau.

Il y a une directive, il faut que tu la suives, que tu sois content ou non.

Claude Charbonneau, maire de Saint-Adolphe-d’Howard

Un problème ailleurs aussi

Le problème n’est pas exclusif au Québec. En France, l’afflux de Parisiens venus se réfugier dans des régions de villégiature, notamment à l’île de Ré et en Bretagne, a suscité grogne et inquiétude, tant chez les populations que les autorités locales. Les déplacements massifs de Madrilènes, en Espagne, et de travailleurs italiens du Nord revenant dans leur Sud d’origine ont aussi été vivement critiqués.

Le gouvernement norvégien, inquiet des pressions exercées sur les services de santé de ses petites communautés rurales, a carrément interdit les séjours dans les résidences secondaires, rapporte l’Agence France-Presse. Les délinquants s’exposent à une amende de 15 000 couronnes (plus de 2000 $CAN) ou 10 jours de prison.

Au Québec, la propagation du virus demeure la principale préoccupation pour l’instant. « Si vous voulez déménager temporairement à votre maison secondaire, veillez à faire vos courses essentielles en ville plutôt que dans la région de votre chalet », a indiqué La Presse en réponse aux questions des lecteurs cette semaine.