Il y a les courbes qui grimpent et qu’on veut aplatir à tout prix. Et il y a celles qui dégringolent. Les signalements à la DPJ, par exemple, ont chuté depuis le début de la crise du coronavirus au Québec.

Mais ce n’est pas une bonne nouvelle.

Plusieurs sources du milieu de la protection de la jeunesse me confirment que le nombre de signalements est en baisse, sans toutefois pouvoir chiffrer cette diminution.

Vous vous en doutez bien, cette baisse ne veut pas dire qu’il y a moins d’enfants battus ou négligés au Québec. Il serait naïf de croire que la crise fait subitement ressortir le meilleur de tout le monde.

Non, ce que ça veut dire, c’est qu’en raison de la fermeture des écoles et des garderies, ces enfants ont perdu leur filet de sécurité.

Ça veut dire qu’ils sont laissés à eux-mêmes… dans des foyers qui risquent de devenir de plus en plus explosifs.

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En temps normal, la clinique de pédiatrie sociojuridique du CHU Sainte-Justine examine chaque semaine un ou deux enfants présentant des ecchymoses à des endroits, disons, inhabituels.

Les signalements proviennent très souvent de l’école ou de la garderie, dit Anne-Claude Bernard-Bonnin, présidente sortante de l’Association des médecins en protection de l’enfance du Québec.

Les mesures de confinement l’inquiètent au plus haut point.

« Les ressources communautaires sont fermées. Les parcs, tous les lieux de rassemblement qui permettent aux parents de faire baisser la pression, sont fermés. On demande aux grands-parents de rester chez eux… »

C’est une recette pour le désastre.

La Dre Bernard-Bonnin est consciente de l’importance cruciale d’éviter la propagation de la COVID-19. Mais elle craint les dommages collatéraux que le confinement risque d’infliger aux enfants les plus vulnérables du Québec.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

« Il nous reste bien une chose, du moins pour le moment : la marche », écrit notre chroniqueuse. 

François Legault a ordonné, lundi, la fermeture des commerces non essentiels de la province. Des Québécois se retrouveront en situation précaire. Certains craqueront sous le stress. Leurs enfants en paieront le prix.

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Des intervenants de la DPJ sont aussi morts d’inquiétude pour certains enfants dont ils ont la charge.

De plus en plus de parents, prétextant s’être mis en isolement volontaire, refusent de les laisser entrer chez eux, m’a-t-on expliqué.

Peut-être ces parents sont-ils vraiment en quarantaine.

Peut-être craignent-ils réellement de contaminer les intervenants, qui n’ont droit pour l’instant qu’à très peu d’équipement de protection lors de leurs visites à domicile.

Mais peut-être aussi n’est-ce qu’un prétexte. Une excuse pour éviter une intervention de la DPJ. Les intervenants ont peu de moyens de le savoir – et encore moins de forcer les parents à leur ouvrir la porte.

Ces intervenants nagent en eau trouble, en ces temps incertains, comme tous les Québécois.

Ils ne savent qu’une seule chose : si les mesures de confinement se prolongent, la situation deviendra intenable pour beaucoup d’enfants.

À vouloir éviter un drame, on en créera d’autres.

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Il fut une époque, fort lointaine (il y a environ deux semaines), où nous avions mille façons d’évacuer la pression de nos vies de fous. On sortait entre amis. On profitait du fait que nos enfants étaient à l’école pour souffler peu.

Cette époque est révolue. Fermés, les restos, les bars, les cinémas. Même les parcs nationaux ne sont plus accessibles. On nous a d’abord demandé de ne plus voyager d’un pays à l’autre, puis d’une région à l’autre, puis… d’un quartier à l’autre.

Notre monde rétrécit à vue d’œil.

Mais il nous reste bien une chose, du moins pour le moment : la marche.

Le premier ministre l’a souvent répété en conférences de presse : vous avez encore le droit de faire des marches, à moins de vivre en résidence pour aînés, d’être en isolement ou de présenter des symptômes.

Et à condition, bien sûr, de pratiquer la fameuse distanciation sociale, c’est-à-dire de rester en tout temps à deux mètres des personnes que vous croisez en chemin.

Entre le télétravail, les enfants à occuper et l’anxiété que provoque la crise, il y a de quoi perdre la tête. Faire une promenade est devenu l’un des seuls moyens encore à notre disposition pour rester à peu près sains d’esprit.

La Dre Bernard-Bonnin croit beaucoup, elle aussi, aux vertus de la marche pour relâcher un peu de pression.

« Souvent, l’enfant qu’on voit avec des marques inhabituelles… c’est un parent qui a perdu patience. Ce n’est pas un parent qui est méchant en partant. […] La maltraitance, ça arrive dans tous les milieux. Ça arrive aussi dans des milieux très intellectuels et très favorisés. »

Alors, avant de péter les plombs, implore-t-elle, allez donc marcher avec vos enfants.

J’ajouterais… pendant qu’il est encore temps.

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L’étau se resserre.

Chaque conférence de presse amène son nouveau lot de consignes et de contraintes.

Lundi, c’était la fermeture des commerces et le bouclage des résidences pour personnes âgées.

Dans les parcs, on a scellé les modules de jeux. Dans les maisons, la police a cassé des partys.

On est passés à une nouvelle étape, a prévenu François Legault, lundi après-midi. Une étape « plus critique ».

Sentez-vous venir le grand verrouillage ?

Le moment où François Legault nous ordonnera de rester dans nos maisons, comme l’a ordonné Boris Johnson, lundi soir, à l’ensemble des Britanniques ?

Le moment où le Québec envisagera un nouveau durcissement des mesures, comme l’Italie et la France, qui songent de plus en plus sérieusement à interdire le jogging et les promenades ?

J’espère me tromper, mais je redoute le moment où M. Legault cessera de nous inviter à aller faire une marche en nous disant que « c’est bon pour le moral ».

Heureusement, on pourra bientôt ouvrir nos fenêtres. Écouter le chant des oiseaux. Regarder pousser les bourgeons.

Ça va bien aller…