(Québec) C’était au début de l’épidémie de SRAS, en 2003. Un patient se présente aux urgences de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont. Il a tous les symptômes de la mystérieuse maladie. Quand il explique qu’il vient d’être soigné à l’hôpital torontois frappé par l’éclosion de SRAS, tout le personnel a un mouvement de recul. Pendant deux heures, il restera sans soins, dans son cubicule, personne n’osant l’approcher. Un médecin se rendra finalement le voir après avoir passé tout l’équipement protecteur imaginable.

Bien sûr, la pandémie actuelle de COVID-19 est absolument sans précédent. Mais il ne faut pas oublier des crises précédentes. Le SRAS de 2003 entraînait la mort chez environ 10 % des patients, alors que la COVID-19 est létale à 3 %, peut-être moins.

Pour la grippe traditionnelle, le taux de décès est autour de 0,1 %. Mais le nouveau virus est beaucoup plus contagieux que son prédécesseur. En 2009, le Québec sera menacé à nouveau, par le H1N1, un virus de la famille de la grippe espagnole du début du siècle dernier. Des vaccinations massives sont organisées, mais l’épidémie sera moins sérieuse qu’on l’appréhendait.

Nouvelle apparition publique dimanche du premier ministre François Legault, nouvelle vague de mesures coercitives destinées à contrer la propagation de la maladie. Pour l’heure, ce qui a augmenté de façon exponentielle, ce n’est pas le nombre de cas, mais bien le ton alarmant du directeur de la santé publique, le Dr Horacio Arruda. « J’ordonne », a-t-il répliqué quand on lui a demandé si les fermetures de lieux publics évoquées étaient volontaires. Mais tout de suite, il « suppli[era] » les citoyens de se plier aux règles resserrées de jour en jour — sinon, « on va le regretter ». Si on impose la fermeture d’une longue liste de lieux publics et de commerces, ce n’est pas pour « avoir le trip de jouer à la dictature », prévient-il. Notre médecin en chef n’est pas un néophyte ; il s’est retrouvé au front à chacune des crises sanitaires des 20 dernières années, le SRAS en 2003, le H1N1 en 2009, la légionellose à Québec en 2012, et finalement la psychose autour de l’Ebola, il y a trois ans.

Les chiffres expliquent peut-être son angoisse. Si des infectiologues spéculent sur des centaines de milliers de patients potentiels (on oscille entre 30 et 70 % de la population atteinte, selon certaines prévisions), la capacité du réseau est source d’inquiétude ; le Québec compte environ 10 500 lits de soins de courte durée, un peu plus de 3000 places sur civière et 1000 lits de soins intensifs.

PHOTO CHRISTINNE MUSCHI, REUTERS

Une chambre munie d’un système de pression négative dans une aile de l’Hôpital général juif désignée par Québec pour accueillir les patients gravement atteints du COVID-19.

Encore plus dimanche, le clivage entre la stratégie du gouvernement Legault et celle de Justin Trudeau était éclatant. Après un long point de presse au cours duquel François Legault était à la fois ferme et rassurant dans la mesure du possible, le gouvernement fédéral envoyait une fonctionnaire, l’administratrice en chef de la santé publique, en point de presse.

Sans détour, M. Legault a souligné qu’il avait « un différend » avec le premier ministre fédéral — Québec, comme tous les partis représentés à l’Assemblée nationale, souhaite que les aéroports canadiens n’accueillent plus de voyageurs de l’étranger.

« Chef de famille »

On l’a dit, Legault a grandi dans sa fonction depuis une semaine ; il est tout à fait à l’aise dans le rôle de « chef de famille » évoqué par Lucien Bouchard dans son rappel de la crise du verglas de 1998.

À Radio-Canada, il y a deux ans, M. Bouchard avait levé le voile sur ses décisions de l’époque, celle surtout de se prêter à un point de presse quotidien, flanqué du président d’Hydro-Québec, André Caillé. Tout n’avait pas été dit, toutefois ; un vendredi soir, le premier ministre Bouchard avait sciemment omis d’annoncer que toute l’électricité de l’île de Montréal était transportée par un seul et unique fil, malmené par la tempête. Sans ce lien, les usines de traitement de l’eau tombaient en panne, il fallait organiser l’évacuation de l’île de Montréal.

Le réflexe de se faire rassurant, Legault ne l’a pas improvisé ; déjà, lors des inondations de 2019, et même d’une tornade dans l’Outaouais, il connaissait l’importance pour les élus de se rendre rencontrer les citoyens affligés.

Cette fois, ses propres députés lui demandent de faire preuve de compassion ; tout est en place pour que l’Assemblée nationale suspende ses travaux mardi soir — tous les partis se sont entendus pour adopter à la vapeur le « quart des crédits » budgétaires, nécessaires au fonctionnement du gouvernement. Par consensus, on a décidé que le vote aurait lieu mardi soir, un bâillon volontaire.

Apprendre du passé

Mais comme de ses erreurs, le Québec a appris de ses crises. L’« urgence sanitaire » décrétée samedi découle directement de deux catastrophes, l’inondation du Saguenay en 1996 et la crise du verglas deux ans plus tard. En 2002, constatant la nécessité de pouvoir intervenir en cas d’urgence, le Québec avait décidé de revoir une série de lois, sur la sécurité civile notamment, afin de doter de pouvoirs extraordinaires le ministre de la Santé et le titulaire de la Santé publique.

Quelques années auparavant, dans la précipitation du verglas, le Québec avait dû lever les règles pour acheter plus de 100 000 lits de camp dans l’éventualité où il aurait à prendre en charge autant de citoyens privés d’électricité. Cet équipement n’a finalement jamais été utilisé ; entreposée pendant des années, une bonne partie de la cargaison a été envoyée en Haïti comme assistance lors du séisme de 2010.

Samedi, M. Legault avait laissé tomber que la crise allait coûter des milliards de dollars en fonds publics. Triste retour des choses pour un gouvernement qui venait tout juste de déposer un budget qui, à coups de milliards, visait à réhabiliter la CAQ auprès des environnementalistes. Le budget vert de l’espérance est disparu immédiatement de l’écran radar. Dans les rencontres privées avec les représentants des partis de l’opposition, M. Legault avait paru surpris par une contrainte légale ; avant de piger dans la réserve de stabilisation, la loi prévoit qu’il doit passer par une situation de déficit budgétaire. Mais pour réduire l’impact des mesures, M. Legault a laissé entendre qu’il appuierait sur l’accélérateur côté infrastructures.

En 2001, après le traumatisme du 11— Septembre, le gouvernement Landry avait prévenu un coup de frein sur l’économie et accéléré un plan de dépenses d’infrastructures. À la crise financière de 2008, le gouvernement Charest avait été servi par le hasard ; après l’effondrement du pont de la Concorde, il avait délié les cordons de la bourse pour sécuriser un parc d’ouvrages routiers désuets. La dépense tombait à point nommé.