En regardant les images de Venise désertée, à moins de 20 km de chez elle, Dolly s’est rappelé ses années à Bagdad, en pleine guerre. « Voir qu’il n’y a absolument personne, que tout est mort, c’est impressionnant. On dirait un couvre-feu après un bombardement. À la différence qu’il n’y a pas de débris. »

Dolly, 75 ans, est une amie d’enfance de ma mère. Originaire d’Alep, en Syrie, elle a vécu quelque temps à Montréal avant de prendre mari et pays. Pays est ici au pluriel, même si ça ne paraît pas. Car Giuseppe, son mari italien, a travaillé aux quatre coins du monde, de la Belgique au Mexique en passant par les Émirats arabes unis, l’Irak et l’Italie. Dolly, éternelle optimiste, l’a suivi, pour le meilleur et pour le pire, même à Bagdad pendant cinq ans, en pleine guerre Iran-Irak. Aujourd’hui, elle vit avec lui en confinement total à Mogliano Veneto, une petite ville de la province de Trévise, dans le nord de l’Italie, au deuxième rang des pays les plus touchés par la COVID-19, après la Chine. Ils ne sortent plus que sur leur balcon pour prendre leur café. C’est la fille de Giuseppe qui fait les courses pour eux et dépose les denrées devant leur appartement en gardant toujours ses distances. Depuis lundi, 60 millions d’Italiens doivent ainsi suivre des mesures strictes de confinement.

PHOTO MASSIMO PINCA, REUTERS

« Tout ira bien », peut-on lire sur l’affiche de cette famille installée sur son balcon, à Turin, en Italie.

Dolly en a vu d’autres… Mais jamais rien de tel. Elle a déjà vu la guerre, mais pas ce type de guerre. En Italie, plus de 1400 personnes sont déjà mortes de la COVID-19 et on compte plus de 21 000 cas déclarés.

Tout a déboulé très vite. Il y a trois semaines à peine, le pays n’avait que trois cas déclarés. Une semaine plus tard, il y en avait plus de 200. Aujourd’hui, on parle de la pire crise sanitaire depuis la Seconde Guerre mondiale. Et comme à la guerre, les médecins, qui n’ont pas suffisamment de ressources pour sauver tous les patients, sont placés devant des choix déchirants.

Vu d’Italie, quels conseils a-t-elle pour nous, novices de la quarantaine et de la pandémie, qui tentons de nous adapter tant bien que mal à cette nouvelle normalité qu’est l’état d’urgence ?

« J’espère que l’exemple de l’Italie pourra être utilisé pour inciter les autres à ne pas perdre trop de temps avant d’adopter les mesures pour freiner la propagation du virus. C’est mon premier conseil : ne pas sous-estimer le coronavirus. On est rendus ici à avoir beaucoup de morts. Il faut prendre les mesures de prévention au sérieux, garder ses distances, pour ne pas encombrer le service sanitaire et les hôpitaux. »

Son message fait écho à celui de nombreuses personnes en Italie — médecins, journalistes, citoyens —, qui souhaitent que les autres pays tirent des leçons de l’expérience tragique italienne et prennent enfin la mesure du danger. « Gardez vos distances. Quitte à passer pour des imbéciles. C’est mieux que de ramener le coronavirus à des proches qui sont fragiles », ont lancé des journalistes de médias francophones en Italie, qui ont senti qu’il était de leur responsabilité de faire passer le message là où il n’était pas encore passé.

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« La guerre a littéralement explosé et les combats sont ininterrompus, de jour comme de nuit », observait quelques jours plus tôt le Dr Daniele Macchini, un médecin de Bergame, au nord-est de Milan, qui en appelait à la responsabilité de chacun.

« De grâce, écoutez-nous, essayez de sortir de chez vous uniquement pour les choses indispensables. N’allez pas vous approvisionner en masse dans les supermarchés : c’est la pire des choses, car de cette façon vous vous concentreriez tous au même endroit, et le risque de contact avec des personnes infectées qui ne savent pas qu’elles le sont est plus élevé encore.

« Essayez d’avoir pitié pour la multitude de personnes âgées dont vous pourriez causer le décès. Ce n’est pas de votre faute, je sais : les responsables sont ceux qui vous font rentrer dans la tête l’idée qu’on est en train d’exagérer. »

Va pour le conseil numéro un… Et ton conseil numéro deux, Dolly ? Profiter du confinement pour lire plutôt que de passer tout son temps sur les réseaux sociaux à partager des blagues de coronavirus — même si la chose a aussi ses vertus en temps de crise. « En ce moment, je lis un livre d’un philosophe italien, Marcello Veneziani. Ça s’appelle Dispera bene. Ce qui veut dire qu’il faut désespérer de la bonne manière ! »

Elle éclate de rire.

Bien désespérer, c’est un art que les Italiens connaissent bien. Ces derniers jours, de Naples à Sienne en passant par Rome et Turin, on a vu des gens contraints de rester chez eux ouvrir leur fenêtre ou sortir sur leur balcon pour chanter à l’unisson.

Samedi, ils ont aussi adressé une minute d’applaudissements au personnel soignant, épuisé.

« Il y a aussi une note positive : c’est que là où tout a commencé en Italie et où les gens ont été isolés en quarantaine, on nous dit qu’il n’y a plus de nouveaux cas déclarés. Ça veut dire que ces mesures fonctionnent. »

Autre note encourageante : on a aussi vu la Chine, pays d’où est partie la pandémie et qui voit son nombre de nouveaux cas baisser, être en mesure d’envoyer une équipe de médecins, ayant eux-mêmes combattu la COVID-19 à Wuhan, prêter main-forte à leurs confrères italiens.

En dépit de la gravité de la situation, il y a donc des raisons d’espérer. Ou de bien désespérer, comme vous voulez.