« On ne manque de rien en entrepôt. Si les étagères sont vides aujourd’hui, revenez demain et elles vont être remplies à nouveau. » Voilà le message véhiculé par le Conseil canadien du commerce de détail (CCCD), vendredi, alors que circulaient des images et des photos de clients, parfois agressifs, prenant d’assaut les supermarchés pour acheter notamment du papier hygiénique et d’autres denrées.

« Il n’y a pas lieu de se battre pour acheter des articles », a tenu à souligner Jean-François Belleau, directeur des relations gouvernementales et publiques pour le CCCD. 

Le Conseil représente plusieurs grandes chaînes, dont Metro, Loblaw, IGA, Walmart et Costco. Préférant ne pas commenter la situation, plusieurs d’entre elles nous ont d’ailleurs demandé de communiquer avec le CCCD pour faire le point sur la situation.

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« La chaîne logistique qui approvisionne la chaîne de supermarchés est l’une des plus robustes au monde », ajoute-t-il.

Comment expliquer les étagères vides et l’attente interminable ? « La seule contrainte que les détaillants ont connue concerne le nombre d’employés », explique-t-il. Les détaillants n’avaient pas vu venir le coup. « L’annonce du premier ministre [jeudi] était tout à fait justifiée, mais ç’a été comme un grand réveil collectif. »

On a fait rentrer plus de personnel et on va accélérer l’approvisionnement des marchandises en magasin.

Jean-François Belleau, du CCCD

Les enseignes ont également connu de l’engorgement du côté des livraisons des commandes en ligne. « En raison d’un volume de visites plus élevé que la normale, il est possible que vous éprouviez des lenteurs ou des périodes d’indisponibilité », pouvait-on lire vendredi sur le site de Metro. « Certains produits pourraient également être en rupture de stock. »

« Il se pourrait que les délais de livraison d’épicerie de commande en ligne soient plus longs que d’habitude », indiquait aussi IGA.

Tout de même, la chaîne Metro (ce qui comprend Super C, Adonis et Marché Richelieu), a permis à ses magasins d’imposer une limite de 2 articles par client pour certains produits. Metro affirme qu’il s’agit d’une mesure préventive. « Chaque magasin a la latitude d’appliquer une limite de 2 produits par client sur les produits qui ont le plus de vélocité dans leur magasin, indique la chef des communications de l’entreprise, Geneviève Grégoire. Cela variera donc d’un magasin à l’autre en fonction de la disponibilité des produits d’un magasin à l’autre. »

Papier hygiénique

Par ailleurs, ceux qui n’ont pas réussi à mettre la main sur des rouleaux de papier hygiénique — produit fort en demande depuis quelques jours — pourront certainement s’en procurer au courant de la fin de semaine. « C’est un produit qui est majoritairement fabriqué au Québec, rappelle M. Belleau. Donc, des craintes d’approvisionnement [pour ce produit], il n’y en a pas. »

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Du côté de Cascades, gros producteur de papier hygiénique, on ne révélera pas de chiffre sur les ventes avant le prochain rapport trimestriel, prévu dans deux mois et demi. Impossible de savoir dans quelle proportion les ventes ont augmenté au cours des derniers jours.

« On va travailler avec l’ensemble de nos clients pour répondre à la demande », assure Hugo D’Amours, vice-président à la communication, aux affaires publiques et au développement durable chez Cascades. 

On garde toujours une certaine quantité en stock. Souvent nos clients gardent eux-mêmes une certaine quantité en stock pour répondre à la demande.

Hugo D’Amours, de l’entreprise Cascades

Il rappelle que l’entreprise possède de nombreuses usines fabriquant ce produit et qu’elles fonctionnent 24 heures sur 24.

Par ailleurs, Sylvain Charlebois, directeur scientifique du laboratoire de sciences analytiques en agroalimentaire de l’Université Dalhousie, à Halifax, estime que les craintes de pénuries ne sont pas fondées. 

« Les chaînes d’approvisionnement sont fiables, dit-il. Ce qu’on voit là, c’est la nature humaine. Chaque personne gère l’anxiété à sa façon. Certains réagissent mal, ils veulent faire quelque chose pour mieux contrôler leur environnement, et ça donne ce qu’on voit actuellement », dit-il.

« L’Italie est en quarantaine, et personne ne manque de bouffe là-bas », ajoute-t-il. 

Quand les craintes se réalisent

Claudia Rebolledo, professeure au département de gestion des opérations et de la logistique à HEC Montréal, souligne que les réactions irrationnelles comme celles que l’on observe actuellement peuvent avoir un effet pervers et créer de qu’on appelle des « crises autoréalisatrices » (self-fulfilling crisis, en anglais). 

En clair — et de façon fort ironique —, les craintes non fondées de pénurie peuvent finir par entraîner… de vraies ruptures de stock. 

C’est un phénomène économique qui se produit quand les gens s’imitent les uns les autres. Quand on voit tout le monde acheter du papier de toilette, on se dit qu’on doit aussi en acheter.

Claudia Rebolledo, de HEC Montréal

Un exemple patent est survenu au Texas au lendemain de l’ouragan Harvey, en 2017. De fausses rumeurs voulant que la ville de Dallas était sur le point de manquer d’essence ont entraîné une ruée vers les stations-service. Prises de court, nombre d’entre elles ont vu leurs réservoirs s’assécher. Les panneaux « à court d’essence » sont apparus, alimentant la panique dans un véritable cercle vicieux.

Sylvain Charlebois, toutefois, redoute une seule chose : une fermeture de la frontière entre les États-Unis et le Canada. « C’est improbable, mais pas impossible », dit-il, soulignant que personne ne s’attendait à ce que le président des États-Unis, Donald Trump, interdise aux Européens de se rendre aux États-Unis.

« À la mi-mars, 80 % de nos fruits et légumes viennent d’ailleurs ; surtout des États-Unis ou alors du Mexique et ils passent par les États-Unis », dit-il. Des produits comme les soupes, les sauces et les pâtes, qui sont aussi très populaires auprès des consommateurs actuellement, viennent aussi en grande partie des États-Unis.

« La frontière, pour notre équipe, c’est ce qui nous préoccupe le plus », dit-il. L’expert souligne aussi que la faiblesse du dollar canadien affaiblit le pouvoir d’achat des importateurs et pourrait éventuellement conduire à des hausses de prix dans l’alimentation. Il recommande de se faire certaines réserves… sans paniquer.

« Allez-y de façon incrémentale et laissez-en pour les autres ! », dit-il.