Il y a deux semaines, j’ai raconté l’histoire d’Yves Bélair en trois parties dans La Presse : l’histoire de sa vie pas ordinaire, de son déclin et de sa mort par aide médicale à mourir1.

Yves vivait depuis toujours avec la paralysie cérébrale, un état qui l’a toujours plombé et ralenti, mais qui ne l’a jamais abattu.

Homme généreux, il a lancé un programme de bourses pour les étudiants handicapés de l’UQAM. En 30 ans, près de 150 000 $ ont ainsi été versés à des dizaines d’étudiants.

Et il est mort le 16 mai comme il avait vécu : bien entouré.

C’est peu de dire que vous avez été touchés par l’histoire d’Yves Bélair. J’ai reçu des centaines de réactions. J’en ai transmis plusieurs à ses proches. Cela leur a fait grand bien. Merci !

J’écris ces lignes au lendemain de l’adoption du projet de loi 11 qui balise l’élargissement de la Loi concernant les soins de fin de vie, piloté par la ministre Sonia Bélanger. Je veux revenir sur ces nouvelles frontières de l’aide médicale à mourir.

Ça fait plus de 10 ans que j’écris sur l’aide médicale à mourir, que j’ai souhaitée de tous mes vœux avant la loi québécoise, suivie par celle d’Ottawa (qui s’est fait forcer la main par la Cour suprême).

Je vois l’aide médicale à mourir comme un soin ultime et comme un ultime geste de liberté. Avoir le droit de choisir le moment de sa mort plutôt que d’aller au bout du supplice de la maladie, je trouve que c’est civilisé.

Et c’est exactement le choix qu’a fait Yves Bélair : en homme libre, il a décidé que ses souffrances physiques et morales avaient assez duré. Et il a choisi, après des mois de réflexion, qu’il quittait cette terre le 16 mai dernier, sous les bons soins du DGeorges L’Espérance, un médecin qui militait pour l’aide médicale à mourir dès les années 1980.

Je conçois depuis toujours que l’aide médicale à mourir est un enjeu sensible et complexe malgré l’appui de principe2 d’une grande majorité de Canadiens3. Il y a des questions juridiques, éthiques, morales et médicales liées à l’aide médicale à mourir, questions qui ne pouvaient – et ne peuvent toujours pas – se régler sur un coin de table.

Le Québec a pris le temps de faire de vastes consultations, il y a une décennie de cela, pour sonder le cœur des citoyens. Il y a eu des lois, et les tribunaux ont depuis imposé aux parlements le sort des laissés-pour-compte de nos lois sur l’aide médicale à mourir, je parle de ceux qui ne sont pas forcément condamnés par une maladie incurable comme un cancer ou la sclérose latérale amyotrophique.

Cet élargissement des frontières de l’aide médicale à mourir est complexe, plus complexe que les premières moutures des lois québécoise et canadienne. Juste sur les démences, par exemple l’alzheimer, il y a un consensus pour permettre des demandes anticipées d’aide médicale à mourir aux personnes qui en sont atteintes.

Mais comment gère-t-on cela, dans le menu détail juridique, éthique, moral, médical et logistique ? C’est complexe, comme l’a démontré l’étude du projet de loi 11.

Il y a de très bonnes raisons d’être très prudent, de choisir les bons mots et les bons protocoles au terme de débats posés pour encadrer l’aide médicale à mourir administrée à des gens qui l’ont souhaitée quand ils étaient lucides, mais qui la recevront quand ils ne le seront plus…

Le compromis : la loi est adoptée, mais pour les démences de type alzheimer, il faudra attendre encore quelque temps, le temps que l’infrastructure pour bien encadrer ce soin soit mise en place.

Québec parle d’un délai de deux ans. Mais je sais que la ministre Sonia Bélanger a l’ambition de rendre le soin disponible pour les personnes atteintes d’alzheimer bien plus rapidement. C’est le souhait de Sandra Demontigny, qui vit avec l’alzheimer précoce. On lui souhaite, à elle aussi, d’avoir accès rapidement à cette option.

Du reste, je constate que l’étude du projet de loi 11 s’est somme toute faite dans la tradition québécoise en matière d’aide médicale à mourir : à tête reposée, sans hystérie, de manière respectueuse et non partisane.

Invoquer les nazis…

Je viens de dire que les débats autour du projet de loi se sont faits sans hystérie. Je note une exception déplorable : Le Devoir, la Montreal Gazette et Noovo ont publié une lettre d’opposants à des dispositions du projet de loi 11, ces derniers jours.

La dissidence est saine parce qu’elle fait avancer les débats et permet d’améliorer des dispositions législatives. Mais cette lettre4, intitulée « Se dépêcher à faire mourir avant de faire vivre », est totalement disjonctée : elle établit un lien entre des dispositions du projet de loi 11 dans le Québec de 2023 et l’Allemagne nazie des années 1940.

Je cite l’auteur de la lettre, le professeur Pier-Luc Turcotte, de l’Université d’Ottawa, appuyé par 17 cosignataires :

« Plusieurs médecins et infirmières ignorent que des “professionnels compétents” comme eux ont donné la mort à 200 000 personnes handicapées dans le cadre du programme d’euthanasie lors de la Seconde Guerre mondiale. Quoique extrême, cette mesure était vue comme un soin médical, car selon les personnes impliquées, on ne pouvait prétendre prendre soin de ces personnes en les gardant en vie. On leur donnait la mort sous prétexte que leur vie “ne méritait pas d’être vécue”. Aux yeux du personnel médical, ces personnes n’étaient pas véritablement des personnes, car elles ne pouvaient pas réaliser même la moindre activité de base sans nécessiter l’aide d’autrui.

« En Allemagne, le programme d’euthanasie s’est installé progressivement, dans un contexte de contraintes financières, après la Première Guerre mondiale, qui remettait en question la capacité de prendre soin de ces personnes. De telles mesures eugénistes ont aussi été implantées au Canada et au Québec.

« Bien que fort inconfortable, cette partie sombre de l’histoire devait absolument se retrouver au rapport du groupe d’experts, au-delà d’une simple note de bas de page. »

Savez-vous pourquoi les métaphores, parallèles et analogies invoquant le nazisme ne sont à peu près jamais utilisées par des gens crédibles dans des débats contemporains en démocratie ? Parce que rien, ou presque, ne justifie d’invoquer les horreurs commises par Hitler et ses sbires.

Invoquer la pente glissante de l’extermination des plus vulnérables sous le régime hitlérien pour discréditer l’élargissement de l’aide médicale à mourir au Québec en 2023 est une ignominie qui insulte la mémoire des victimes du nazisme. C’est généralement l’arme rhétorique des trolls qui sévissent dans les forums internet.

C’est surréaliste d’avoir à l’écrire, mais allons-y : les victimes du nazisme ont été exterminées contre leur gré au nom d’une idéologie totalitaire qui prônait la supériorité et la pureté raciale.

Ça n’a rien à voir avec l’aide médicale à mourir au Québec en 2023, un enjeu qui a fait l’objet d’un très large débat dans la société. Ça n’a rien à voir avec un soin que des personnes choisissent de façon lucide et volontaire pour mettre fin à leurs souffrances au terme d’un débat démocratique très, très large.

Tout le contraire des exactions nazies.

1. Lisez la chronique « Yves Bélair, de son enfance à sa mort » 2. Consultez l’étude « Une forte majorité de Québécois et de Canadiens favorable à l’Aide Médicale à Mourir (AMM) dans les cas de maladie de type Alzheimer » 3. Lisez l’article « Les Canadiens nettement en faveur d’une aide médicale à mourir élargie » 4. Lisez la lettre « Se dépêcher à faire mourir avant de faire vivre »