Éthique et politique sont deux mots qui ne vont pas très bien ensemble.

Le premier exige une réflexion impartiale, alors que le deuxième incite à l’action partisane. Veut-on avoir raison ou gagner ? Entre les deux, il faut parfois choisir.

Cela explique l’accueil ingrat réservé au nouveau – et sixième ! – rapport de la commissaire à l’éthique sur Pierre Fitzgibbon. Cette fois, il est blanchi.

Lisez le rapport du 30 mai de la commissaire à l’éthique et à la déontologie de l’Assemblée nationale

Les rapports sur l’éthique sont comme ceux des commissions d’enquête : on passe plus de temps à les réclamer qu’à les lire. Celui sur la partie de chasse au faisan sur une île privée ne fait pas exception.

L’opposition est déçue. À ses yeux, il y avait au minimum « apparence de conflit d’intérêts ».

Cette notion est devenue tellement élastique qu’elle s’étire à l’infini. Selon le cliché, en politique, la perception est la réalité. Or, les perceptions ne tombent pas du ciel. Elles dépendent de la façon de présenter les faits.

La commissaire à l’éthique s’intéresse elle aussi à l’apparence de conflit d’intérêts, mais avec la perspective d’une observatrice neutre et raisonnable qui évalue la preuve. Et selon elle, cette fois, le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie n’a pas commis de faute.

Oui, M. Fitzgibbon s’est fait payer cette activité par une bonne connaissance, Maurice Pinsonnault. C’était toutefois aussi arrivé avant qu’il ne se lance en politique. Durant l’activité, il n’aurait pas parlé d’un dossier actif. De toute façon, l’hôte n’avait pas de demande traitée au cabinet du ministre – ses modestes subventions (97 840 $ en 2020 et 68 680 $ en 2022) étaient évaluées dans des bureaux régionaux et administratifs d’Investissement Québec. Enfin, l’accès de l’hôte au ministre n’a pas changé à la suite de la chasse.

M. Fitzgibbon n’a pas déclaré ce cadeau qui dépassait la limite de 200 $. C’est autorisé à condition que le cadeau s’inscrive dans une relation purement privée. On touche ici à une question délicate : où s’arrête la vie privée d’un ministre et où commence son travail ?

Un ministre n’est pas un juge. M. Fitzgibbon peut rencontrer des entrepreneurs – cela fait même partie de son travail. Mais peut-il être ami avec eux ? Si on veut que des gens d’affaires fassent le saut en politique, cette tension paraît inévitable. Le code d’éthique sert à l’encadrer.

Les caquistes trouvent que leurs adversaires sont mauvais perdants, mais ils ont la victoire arrogante.

La commissaire a incité M. Fitzgibbon et ses collègues à la prudence à l’avenir. Le ministre fera-t-il attention ? « Ma vie privée ne vous concerne pas », s’est-il emporté, excédé par ce qu’il qualifie d’acharnement des médias de Québecor.

François Legault a quant à lui fait des blagues au lieu de prendre au sérieux l’avertissement de la commissaire.

Le code d’éthique doit être revu tous les cinq ans. Mme Mignolet a soumis ses recommandations en décembre 2019. Elles sont restées lettre morte.

Les règles ne doivent pas être si rigides qu’elles bloquent les gens d’affaires. À l’époque, il était question d’adapter le code à des cas comme celui de M. Fitzgibbon, qui détenait des participations dans des fonds d’investissement qui injectaient du capital dans des entreprises faisant affaire avec l’État. Ces actifs ne sont pas faciles à vendre ni à surveiller. Le ministre peinait à s’en départir ou à évaluer dans quel dossier il pourrait avoir un intérêt financier.

Après deux blâmes de la commissaire, il a tout vendu pour régulariser sa situation. Là-dessus, il a fini par écouter.

Si M. Fitzgibbon n’a pas commis de faute éthique, cette affaire est révélatrice d’autres enjeux comme l’accès à la nature, la sobriété énergétique et le mimétisme social.

On n’a pas de photo de sa chasse. Mais à lire les descriptions, on imagine une suite du Temps des bouffons de Pierre Falardeau, ce pamphlet sur le souper annuel du Beaver Club en 1985 où des gens du pouvoir se déguisaient en vieux aristocrates pour célébrer leur grandeur.

Selon Le Journal de Montréal, à cette partie exclusive de chasse, les participants revêtent des costumes autrichiens. Des résidences imitant le style hollandais se trouvent sur l’île privée, codétenue par 10 multimillionnaires. Un chef privé et des guides de chasse s’occupent d’eux. M. Fitzgibbon a été invité en tant que propriétaire voisin et bonne connaissance de ceux que l’on nomme la « gang du lac ».

Cela rappelle l’époque où la chasse était réservée aux nobles. Et aussi celle plus récente où de riches étrangers et une poignée de francophones se gardaient les plus beaux territoires naturels, comme des extensions de leur domaine, avec la population locale employée à leur service.

Grâce au gouvernement Lévesque, les clubs privés de chasse et pêche ont été démantelés en 1977. Mais comme s’en inquiète le ministre responsable de cette mesure pionnière, Yves Duhaime, des gens fortunés recommencent à limiter l’accès aux meilleures zones de chasse et pêche. Et si vous n’avez pas la chance d’être propriétaire riverain, se baigner dans un lac devient de plus en plus difficile.

Lisez l’article « Zones d’exploitation contrôlées : l’ancien ministre Yves Duhaime met en garde contre le retour des clubs privés »

Enfin, l’épisode fait réfléchir à notre rapport à la sobriété énergétique. M. Fitzgibbon pose le bon diagnostic : pour électrifier son économie, le Québec doit réduire sa consommation d’énergie et augmenter sa production. Or, tous n’ont pas le même effort de sobriété à faire. Au Québec, le 1 % le plus riche émet quatre fois plus de gaz à effet de serre que le 40 % le plus pauvre. Dans le cas des ultrariches comme ceux de l’île de la Province, l’écart est encore plus grand – c’est d’ailleurs en hélicoptère que M. Fitzgibbon a été reconduit à la chasse.

Enfin, il y a le mimétisme social. Les valeurs ne naissent pas dans le vide. Par exemple, prendre le métro chaque matin teinte la vision du monde. On est exposé à la misère humaine, à condition d’ouvrir les yeux. Du sommet des gratte-ciel, par contre, tous ces gens semblent s’affairer sans histoire.

Durant la pandémie, le gouvernement Legault avait sous-estimé l’impact du couvre-feu sur les sans-abri. Ce n’était pas par manque de cœur. C’est juste que l’itinérance s’était perdue dans son angle mort.

Pour être réellement représentative, l’Assemblée nationale doit compter des élus ayant une variété de formations. Elle est enrichie autant par l’expérience d’une travailleuse communautaire comme Manon Massé que par celle de gens d’affaires comme M. Fitzgibbon.

Ce n’est pas une carrière en journalisme qui prépare à négocier des transactions avec une multinationale. Face au privé, on veut un ministre aguerri. Or, la politique paye moins et expose aux critiques. Pour s’y lancer, il faut une réelle passion.

Aucun ministre n’a été surveillé comme M. Fitzgibbon, même si les risques de conflits d’intérêts demeurent de loin inférieurs à ceux qui seraient survenus si Pierre Karl Péladeau était à sa place.

Reste que même si son expertise est précieuse, elle doit être contrebalancée par d’autres points de vue. Une personne qui a passé toute sa vie en affaires pourrait être si habituée à certaines situations, comme l’optimisation fiscale et les subventions aux entreprises profitables, qu’elle y sera désensibilisée.

Voilà ce qui mijote dans cette histoire. Même si elle n’est pas la controverse éthique que l’on prétend, elle mérite qu’on y réfléchisse un peu.