En politique, il y a une prime à la dissidence. La caméra s’intéresse à celui qui dit le contraire des autres, comme on l’a vu la fin de semaine dernière au conseil général du Parti libéral du Québec (PLQ) à Victoriaville.

L’attention s’est concentrée sur Jérôme Turcotte, ex-président de la commission politique venu sur place pour déchirer sa carte de membre. Son parti se déconnecte des nationalistes, déplorait-il.

Pour le PLQ, cette « chicane » aurait pu être utile. Une « chicane », ça ressemble à un débat, et c’est justement ce dont le parti a besoin. Petit détail, toutefois : M. Turcotte ayant claqué la porte du parti, il ne sera plus là pour alimenter la réflexion.

Des militants relativisent l’accrochage. La famille reste unie, assurent-ils. Le geste de M. Turcotte n’en demeure pas moins symbolique de ce qui s’est observé en 2018 puis en 2022 : la désertion des francophones.

En octobre dernier, le PLQ a obtenu le plus faible pourcentage de votes de son histoire. Le deuxième pire résultat ? En 2018. Et là encore, le choc a été adouci par les distorsions du système électoral qui avantageaient les rouges.

Selon les plus récents sondages, à peine 6 % des francophones les appuient. Le PLQ risque de s’engager dans une spirale.

Plus les nationalistes modérés quittent le parti, plus cette voix deviendra marginale à l’interne et plus la plateforme adoptée accélérera cette rupture.

Si le coup d’éclat de M. Turcotte a retenu l’attention, c’est aussi parce que le PLQ n’avait rien de neuf à annoncer à Victoriaville. Les règles de la course à la chefferie n’ont pas été dévoilées – il faudra encore attendre quelques mois.

En prenant son temps, le parti donne la chance à des aspirants candidats de l’extérieur de se manifester, et il laisse les militants s’exprimer avant que le débat ne se structure autour de la course.

Pour l’instant, quatre individus songent à se lancer : les députés André Fortin, Frédéric Beauchemin, Monsef Derraji et le chef intérimaire Marc Tanguay. Ils ont défendu le programme du parti lors de la dernière campagne et à moins d’une surprise, les différences entre eux ne s’annoncent pas colossales. On cherche encore aussi une femme.

Un comité coprésidé par André Pratte et la députée Madwa-Nika Cadet travaille à simplifier et actualiser le livret des valeurs libérales de Claude Ryan. On sera plus dans la philosophie que dans les engagements concrets.

Leur défi sera d’accoucher d’un document qui ne pourrait pas être signé par un autre parti tout en laissant assez d’oxygène pour que chaque candidat puisse articuler les valeurs à sa façon.

En attendant, l’heure est aux questions existentielles : à quoi sert le PLQ alors que l’indépendance est reléguée à l’arrière-plan ? En quoi se distingue-t-il des caquistes, péquistes, solidaires et conservateurs ?

Comme la CAQ, le PLQ est un parti de pouvoir avec un discours économique proche du milieu d’affaires. Et aussi un parti fédéraliste qui dit défendre les intérêts du Québec à l’intérieur du Canada.

Comme Québec solidaire, le PLQ est un parti qui s’oppose au conservatisme identitaire et qui promeut la diversité.

Tôt ou tard, les Québécois voudront changer de gouvernement. Les libéraux optimistes espèrent que leur positionnement mitoyen fera d’eux la solution de rechange naturelle. Reste que le contraire est possible. Les partis mal définis peuvent être pris en étau. C’est ce qui se passait avec François Legault en 2015, qui était fédéraliste comme les libéraux et entrepreneur nationaliste comme Pierre Karl Péladeau. Il était alors engouffré dans le centre, au cœur de l’oubli.

Comment être à la fois libéral et nationaliste ? Comment reconquérir les francophones et les régions ? Au PLQ, cette question est elle-même critiquée. Mieux vaut ne pas segmenter l’électorat, disent certains. Un libéral doit rassembler.

En principe, c’est vrai. Mais ça ne fonctionne pas très bien depuis quelques années.

Durant la course à la chefferie en 2020, Dominique Anglade se réclamait de l’héritage nationaliste de Robert Bourassa. Une fois élue, elle voulait notamment imposer des cours de français au cégep anglophone. Des militants l’ont rabrouée, et son successeur n’aura pas la tâche plus facile.

Parler de reconquérir le vote francophone est trop abstrait. La réponse devra s’incarner dans des idées concrètes.

Par exemple, que ferait le PLQ avec la loi sur le port de signes religieux ? L’annulerait-il ? Se contenterait-il de ne pas renouveler la disposition de dérogation en cas de défaite en Cour suprême ?

Croit-il que les lois actuelles suffisent pour défendre le français ? Maintiendrait-il l’immigration économique presque exclusivement en français, comme vient de l’annoncer la CAQ ?

En environnement, accepterait-il de miser sur l’écofiscalité ? Changer les habitudes de consommation, est-ce compatible avec le libéralisme ?

Et en économie, que pensent les libéraux de l’interventionnisme caquiste ? Veulent-ils eux aussi cibler des secteurs stratégiques comme la filière batterie, ou s’en remettraient-ils davantage au marché ? Si oui, comment est-ce compatible avec la transition énergétique ?

Depuis leur élection, les caquistes ont profité des surplus laissés par le gouvernement Couillard pour gouverner confortablement au centre. Si les finances publiques se resserrent, le retour au déficit zéro sera-t-il une priorité libérale malgré le souvenir difficile des compressions en 2015 ?

Si les discussions ne sont pas vigoureuses, ce sera suspect. La « chicane » – mieux connue sous son petit nom de « débat » – est plus que jamais nécessaire au PLQ.

Ce sera au minimum la preuve qu’il y reste encore des gens.