La saison de théâtre d’été a commencé en avance à l’Assemblée nationale. Les caquistes, les solidaires et les péquistes ont offert un spectacle particulièrement amateur sur le salaire des députés.

Les péquistes et les solidaires jugent odieux de hausser leur salaire plus rapidement que celui des employés de l’État. Or, ce sont eux – avec les caquistes – qui avaient refusé une proposition à coût nul en 2015. Sans leur blocage, la situation qu’ils dénoncent n’existerait pas.

Les caquistes disent suivre un rapport indépendant d’experts, mais ils avaient eux-mêmes torpillé le précédent rapport pour commander cette version avec un mandat restreint qui ignorait le principal problème, leur régime de retraite dodu.

Ils ont raison, les élus sont en conflit d’intérêts pour décider de leur salaire. Ils doivent donc s’en remettre à une instance indépendante. Or, c’est justement ce que proposait le ministre libéral Jean-Marc Fournier en 2015.

Son projet de loi reprenait les recommandations du rapport rédigé par Claire L’Heureux-Dubé (ex-juge à la Cour suprême), Claude Bisson (ex-juge en chef de la Cour d’appel du Québec) et François Côté (jurisconsulte des membres de l’Assemblée nationale).

Ils proposaient de hausser le salaire, mais de réduire le régime de retraite. Et c’était à coût nul.

La formule était plus transparente. Elle favorisait aussi le recrutement de nouveaux candidats en politique et le renouvellement de la députation. Puisque la paye était bonifiée et que le régime de retraite était aminci, il devenait plus intéressant de passer quelques années à l’Assemblée nationale que de s’y installer toute sa carrière.

Sur papier, c’était impeccable. Mais l’opposition à l’époque n’a pas pu résister à la tentation de faire de la politique avec un tout petit « p » minuscule.

Bernard Drainville, qui était alors député péquiste, offrait ce témoignage larmoyant aux caméras : « Actuellement, le gouvernement propose d’appauvrir les infirmières, les enseignantes, les fonctionnaires et il nous propose d’augmenter le salaire des députés de 31 % ? Voyons donc ! Ça n’a aucun bon sens. »

Ce qui n’avait pas de bon sens, c’était à quel point les partis de l’opposition déformaient le projet de loi libéral.

Ils parlaient seulement de la hausse du salaire (de 90 000 à 140 000 $). Sans mentionner que cette bonification s’expliquait en partie par le fait que les allocations devenaient imposables. Sans dire donc que le fisc récupérait une partie de l’argent. Et sans rappeler non plus que le régime de retraite serait dégraissé.

Les députés ne cotisaient qu’à 21 % de leur retraite. Le rapport suggérait de porter cette part à 43 %. Pendant qu’ils prétendaient défendre la capacité de payer du contribuable, les péquistes, les solidaires et les caquistes s’accommodaient fort bien de ce privilège. Ils en jouissent d’ailleurs encore aujourd’hui.

Je répète : dans son ensemble, la réforme se faisait à coût nul. M. Fournier calculait même que l’État économiserait jusqu’à 400 000 dollars par année. Dans le caucus libéral, l’enthousiasme s’est perdu. À quoi bon défendre cette loi qui leur nuisait politiquement, qui appauvrissait leurs députés plus âgés et qui alimentait la grogne contre eux ?

Le ministre Fournier avait seulement réussi à faire adopter une recommandation consensuelle du rapport L’Heureux-Dubé, la fin de l’indemnité de départ aux députés qui démissionnent sans raison de santé valable.

En 2017, deux ans après le rejet du projet de loi libéral, des députés revenaient à la charge. Le budget fédéral venait de rendre leurs allocations imposables. Des libéraux, avec l’appui de caquistes et de péquistes, ont proposé un ajustement pour protéger leur pouvoir d’achat.

Une fois au gouvernement, les caquistes ont fait ce changement. Ils ont aussi commandé un nouveau rapport d’experts pour régler la question. Deux des trois auteurs étaient d’anciens députés, plutôt sensibilisés à la cause de leurs collègues. Leur mandat était aussi limité. On ne leur demandait pas de se prononcer sur le régime de retraite.

C’est ironique. Le gouvernement répète pourtant toujours aux fonctionnaires que leur paye parfois moins généreuse que celle du privé se justifie entre autres par leur sécurité d’emploi et leur pension. Regardez la rémunération globale et non le simple salaire, dit-on à Québec.

Les caquistes ont maintenant l’audace de court-circuiter l’habituelle consultation qui suit le dépôt d’un projet de loi. Les solidaires et les péquistes ne manquent pas de culot non plus.

Tout en prétendant que cette question doit être tranchée par des experts indépendants, ils ont improvisé jeudi des critères qui relèvent de la stratégie partisane. Les solidaires veulent limiter la hausse salariale à 20 000 $, un chiffre qui relève du pur arbitraire. Les péquistes suggèrent quant à eux d’arrimer la hausse des députés à la « moyenne » du secteur public, sans savoir eux-mêmes comment ce serait calculé – un vérificateur ferait le travail, se défendent-ils.

Si les caquistes voulaient s’en remettre à une instance indépendante, ils n’avaient pas besoin de commander un nouveau rapport. Et si les solidaires et les péquistes refusent que la population paye plus cher pour leur travail, ils n’avaient qu’à accepter l’ancienne proposition à coût nul.

Les péquistes et les solidaires promettent héroïquement de redonner une partie de leur augmentation aux citoyens. C’est touchant, mais une pièce de théâtre saisonnière, ça ne fait pas une bonne politique publique à long terme.

Cela doit être répété : les députés font un travail essentiel et difficile. Ils ne comptent pas leurs heures et ils méritent d’être mieux payés. Mais pas n’importe comment. Pas dans un tel désordre partisan.

On ne peut pas réécrire l’histoire. La relire aide toutefois à comprendre le précieux ridicule du spectacle qui se joue devant nous.