Il arrive, en coup de vent, par la porte d’en arrière, en veston-cravate, embrasse sa mère, salue son père, se passe la main dans les cheveux. Il n’a encore rien dit et déjà l’auditoire est à lui. Puis il envoie une réplique à sa sœur, et ça rit. Et je ris, aussi. Devant ma télé. En regardant Family Ties, comme tous les jeudis soir, des années 1980. 

C’est une délicieuse comédie dont la prémisse est le reflet de l’époque : d’ex-hippies ont un fils réactionnaire. Le père et la mère travaillent pour la télé communautaire, le fils a une affiche de Ronald Reagan dans sa chambre. En une décennie, la jeunesse a changé d’idéal : elle ne veut plus faire l’amour, elle veut faire de l’argent. 

Pour incarner cet ado, obnubilé par la réussite économique, un acteur canadien infiniment charismatique, Michael J. Fox. C’est lui, le coup de vent. Gamin, énergique, allumé, drôle, il perce l’écran. 

Je l’aime bien, ce gars-là. Il a le même âge que moi, début vingtaine. Il est petit comme moi. Vif d’esprit, comme je crois l’être aussi. Confiant, terre à terre, taquin, je m’identifie vraiment à lui. Et encore plus que ça, même, je l’envie. 

Il a la présence que j’aimerais avoir, dans l’espace. Toujours sur une patte, toujours en mouvement. Le pas empressé. Allant au-devant des gens. Toujours en action. Toujours en avant. Je voudrais bien être ainsi, mais disons, qu’avec mon physique un peu tout croche, mes déplacements ne donnent pas le même résultat. C’est moins fluide. Moins captivant. J’attire l’attention des gens aussi, mais pas comme une star, plus comme un caillou. En marchant les pieds par en dedans. On me dévisage. Ou plutôt, on me déjambe. Ces regards qui me croisent, m’enfargent. Parfois, je tombe. Mon corps se relève rapidement. Mon amour-propre reste au sol longtemps. 

Chacun son destin. On fait avec ce qu’on a.

Heureusement, il y a les stars pour nous faire rêver à ce qu’on ne pourra jamais être. Et pour me faire rêver, Michael J. Fox me fait rêver, un moyen temps ! 

Dans Back to the Future, c’est moi le héros poursuivi par les bullies, qui s’improvise un skateboard, s’accroche après un pick-up, des flammèches aux souliers, zigzague dans les rues, saute par-dessus l’auto des méchants, avant de les voir s’écraser dans un camion de fumier. C’est moi, aussi, au bal des finissants, qui joue de la guitare, en faisant le duckwalk à la Chuck Berry, avant de plonger dans la DeLorean, pour arriver devant le clocher de l’église, au moment exact où la foudre va s’abattre, me permettant de revenir dans le futur. Quand je me prends pour Michael, je suis le plus vite des p’tits vites.

Et me voilà, vraiment, back to the future, dans la vraie vie. Trente-huit ans après tout ça. Je regarde Still : A Michael J. Fox Movie. Je le vois sortir de chez lui. Il marche sur le trottoir. Il marche comme moi, je marchais dans le temps. J’ai les larmes aux yeux. Je voulais devenir comme lui. Et c’est lui qui est devenu comme moi. Physiquement. Dans sa tête, on sent qu’il est toujours le même type fringant, qui veut être arrivé avant même d’être parti. Il croise une dame qui le reconnaît. Elle le salue. Il tourne la tête. Un coup de vent, il tombe. Comme je suis tant tombé. Elle lui demande si ça va. Il lui répond, vous m’avez soufflé. Son entraîneur l’aide à se relever.

À la caméra, bien assis, il dit : « Ma démarche fait peur aux gens. Mais je ne la cacherai pas. Faites-en ce que vous voulez. Avoir pitié de moi ne m’affectera pas. Je ne suis pas pitoyable. Je suis occupé. »

Vous comprenez que si je m’identifiais à lui, à 20 ans, je m’identifie encore plus à lui aujourd’hui. Bien que la maladie de Parkinson, dont il est atteint, soit un combat beaucoup plus féroce que le mien.

Je l’admirais quand il filait en planche à roulettes. Je l’admire encore plus quand il titube à en perdre une chaussure. J’admire sa façon de l’assumer. À l’époque où je marchais ainsi, j’avais le courage de me mêler à la multitude. Mais pas celui de me faire filmer en train de le faire. Une fois seulement, je l’ai eu. Je suis allé chercher le Gémeaux du meilleur spécial humoristique remis au Bye bye 1995, les pieds par en dedans, au bras de ma belle Denise. Le lendemain, j’étais invité à l’émission de Christiane Charette. Elle a repassé la séquence. J’ai regardé ailleurs. Je préférais garder en moi le sentiment que j’avais en me dirigeant vers la scène. Dans ma tête, je flottais. Je craignais trop d’avoir, face à moi, la même réaction éprouvée par bien des gens croisés. J’avais peur de me décevoir comme je les décevais.

Merci, Michael J. Fox, pour l’ensemble de l’œuvre. Pour le bien que tu m’as fait en tant qu’acteur. Et pour le bien que tu me fais en tant qu’humain.

En te regardant marcher tout croche, je n’ai pas été déçu par toi. Au contraire. Je t’ai trouvé cool. Encore plus vrai que jamais. Encore plus fonceur que jamais.

Je n’aurais jamais cru qu’un jour le héros de ma jeune vingtaine allait me réconcilier avec ma démarche. 

Je sais, cette chronique parle beaucoup trop de moi. Le titre vous avait prévenu : « Mon Michael J. Fox ». Je vous invite très fortement à regarder le documentaire sur LE Michael J. Fox. Pour tout savoir de cet être à part.

Je tenais juste à vous dire à quel point il m’a fait avancer.