Le lecteur moyen et de bonne foi a sans doute avalé ses Rice Krispies de travers il y a quelques jours en lisant qu’il y avait eu une échauffourée à Sainte-Catherine devant une bibliothèque municipale1, à propos du conte présenté aux enfants.

Ou plutôt à propos de l’identité du lecteur du conte : Sébastien Potvin, alias Barbada, son personnage de drag queen.

Il y a cette mode depuis quelques années de drag queens qui font la lecture de contes pour enfants dans des bibliothèques ou dans les écoles, en Amérique du Nord. Au Québec, Barbada est l’une des drag queens les plus en vue.

Reprenant son souffle, ce lecteur ayant avalé ses Rice Krispies de travers se dira : Hein, des drag queens, c’est controversé ?

Oui. Même que certaines personnes sont très effrayées par les drag queens.

(Imaginez : avoir peur d’un homme costumé en femme flamboyante…)

C’est à l’extrême droite qu’on fait une fixation malsaine sur les drag queens, leur prêtant le pouvoir magique (alerte à l’hyperbole, ici) de convertir le genre des enfants et même de les préparer à devenir des jouets sexuels pour les adultes, ce qu’on appelle du grooming.

L’extrême droite voit du grooming partout… à gauche. Et pas besoin de vous dire que ce qui se trouve à la gauche de l’extrême droite est un large spectre.

De Bill Gates aux drag queens en passant par Hollywood et Joe Biden, ils voient des groomers partout chez leurs ennemis politiques et culturels. Oui, ça ressemble à la même rhétorique que QAnon et sa paranoïa d’un monde secrètement dominé par des cabales pédophiles. Mêmes suiveux, aussi…

Fox News et les réseaux conservateurs à sa droite, toute la constellation des sites de désinformation républicains made in USA et des hordes d’élus républicains répètent à longueur de journée aux États-Unis que les drag queens sont une menace existentielle pour les enfants, une opération subtile de la Gauche-Woke-Communisse pour pervertir les enfants de la Nation…

Résultat : depuis le début de 20232, 32 projets de loi ont été soumis aux législatures américaines pour interdire des spectacles de drag queens. Au Tennessee, on veut les interdire s’ils sont visibles pour les enfants et au Texas, on veut les mettre dans la même catégorie que les cinémas pornos.

L’avortement fut historiquement LE grand enjeu mobilisateur de la droite américaine. La lutte contre l’avortement a permis aux républicains pendant 50 ans de compter sur les énergies militantes et sur les contributions politiques de millions d’Américains…

Un demi-siècle plus tard, ces gens-là ont gagné : la Cour suprême a torpillé les garanties constitutionnelles sur l’avortement.

Mais ce n’est la fin de rien : devenu un parti d’extrême droite sous le poison trumpiste, le Parti républicain veut pousser encore plus loin son combat contre ce qui mettrait en danger le socle d’une société saine, j’ai nommé la Famille, une Famille étant comme chacun le sait composé d’un homme, d’une femme (qui reste à sa place) et d’un maximum d’enfants (à éduquer, préférablement, à la maison)…

D’où cette guerre culturelle et politique à tout ce qui menacerait cette Famille, depuis quelques années. Comme tout ce qui se réunit sous le drapeau arc-en-ciel LGBTQ+.

Ça donne la Floride et son interdiction de même parler d’homosexualité en classe, des menaces de criminalisation contre des médecins disposés à conseiller des adolescents qui ont des doutes sur leur identité de genre et, oui, la stigmatisation de la lecture du conte faite aux enfants par des drag queens.

Les illuminés qui ont manifesté contre la drag queen Barbada à Sainte-Catherine, P.Q., n’ont fait que singer – un de leurs grands talents – les Américains qui multiplient les manifestations devant des bibliothèques publiques3, armés de leur AR-15 pour « protéger » les enfants du péril drag…

(Note de service pour ces gens-là : dans les arénas, les écoles et les églises, on trouve statistiquement et historiquement plus de pédophiles au pied carré que dans les bibliothèques municipales où une drag queen lit Les trois petits cochons aux enfants sous les yeux de leurs parents.)

Au bout du compte, cette hystérie politiquement fabriquée qui assimile tout ce qui n’est pas hétéro à la pédophilie donne à penser que c’est OK de stigmatiser « les autres », des trans aux gais en passant par les drag queens…

Ça n’a rien à voir avec les enfants.

Ça a tout à voir avec l’application d’un vernis moral sur cette bonne vieille haine qui ne fait que changer d’habit, selon les époques…

Ce qui est ironique, c’est que les radicalisés qui croyaient hier que le masque était le signe de la dictature mondiale et qui croient aujourd’hui que le remède à la cabale pédophile est l’interdiction des drag queens sont toujours là à nous bassiner sur l’importance de la libaaaaaarté. Ah, la liberté, comme ils aiment la liberté…

C’est pourtant simple…

Si t’es contre le mariage gai, marie-toi pas avec un gai.

Si t’es contre l’avortement, fais-toi pas avorter. Et si t’es un homme, c’est pas vraiment de tes oignons.

Et si t’es contre l’heure du conte par une drag queen, ben, inscris pas ton enfant à l’heure du conte par une drag queen à la bibliothèque du coin.

La liberté, c’est ça.

Mais pour l’extrême droite, la liberté n’est qu’un slogan pour faire suer ceux qu’ils jugent trop différents pour être acceptés.

1. Lisez « Un conte pour enfants déplacé en raison d’une manifestation » 2. Lisez un texte d’opinion du Guardian à propos des lois au Tennessee (en anglais) 3. Lisez un article de Vice à propos des manifestations anti-drag aux États-Unis (en anglais)