Est-ce que la réforme Dubé du système de la santé déclenchera la troisième guerre mondiale, de Gaspé jusqu’à Aylmer ?1 On verra.

Mais avant de lancer les hostilités, il faudrait convenir de certaines choses.

D’abord, le réseau est malade. Les patients sont écœurés de patienter et des employés se rendent malades au travail.

Ensuite, de nombreux rapports indépendants (Clair, Castonguay, Savoie) ont été publiés, et aucun ne croit que la solution consiste à arroser l’incendie à coup de milliards.

Enfin, avec un budget de plus de 50 milliards de dollars et près de 300 000 employés, notre mammouth de la Santé est d’une complexité étourdissante. Dire qu’une proposition ne réglera pas tout, c’est à la fois évident et impertinent. Tout petit gain serait mieux que rien.

Hélas, l’Assemblée nationale semble avoir déclaré la guerre à la nuance. Le nouveau point Godwin2 de la politique québécoise a vite été atteint – une comparaison à Gaétan Barrette, aussi connu comme l’incarnation contemporaine du Mal.

Depuis des années, des experts reprennent pourtant les mêmes constats. Le ministère de la Santé doit se concentrer davantage sur les orientations et déléguer les opérations aux gestionnaires locaux, l’accès aux soins en première ligne doit être renforcé, l’organisation du travail doit être revue, les professions devraient être décloisonnées et les soins ne devraient plus seulement être pensés avec une vision médicale et hospitalo-centriste.

C’est cela qu’essaie de faire le ministre de la Santé, Christian Dubé, avec sa réforme. J’insiste sur le verbe « essaie ». Car son énorme projet de loi – 308 pages et 1180 articles – soulève une multitude de questions.

C’est le point de départ, et non le fil d’arrivée. Les lois et règlements ne suffisent pas pour changer une culture. Tout dépendra de la façon de les appliquer.

Fallait-il encore une réforme ? Il est vrai que le réseau a été déstabilisé par le brassage récurrent des structures. Mais si les précédentes tentatives ont échoué, c’est en partie parce qu’elles étaient accompagnées de compressions budgétaires ou encore parce qu’elles ont été implantées trop vite. Ces écueils sont évitables.

La commissaire à la santé et au bien-être (CSBE) a récemment analysé des réformes ailleurs au Canada. Elle montre qu’il n’existe pas un « bon » modèle. Mieux vaut se méfier des étiquettes simplistes. Par exemple, on peut à la fois décentraliser des activités et en centraliser d’autres.

Toutefois, peu importe le modèle, toute réforme doit se construire sur une fondation solide : des données fiables et transparentes. Sinon, le Ministère ne saura pas si ses orientations sont respectées, et les décideurs locaux ne seront pas tenus de rendre des comptes.

Voilà une première inquiétude pour la réforme Dubé. Certes, il a déposé l’automne dernier un projet de loi pour faciliter l’accès aux données, et il a créé un tableau de bord. Sauf que pour l’instant, on mesure plus le volume de soins que les résultats pour la santé des patients.

Une deuxième inquiétude porte sur la collaboration des employés.

Les syndicats sont sur la défensive. C’est à la fois un problème et la manifestation d’un problème, celui du corporatisme.

Un bon exemple : la Fédération des médecins spécialistes, qui a le mandat de défendre ses membres, est critique, tandis que le Collège des médecins, qui représente le public, est plutôt positif. Même contraste entre le syndicat des infirmières et leur ordre professionnel.

Depuis des années, on vante les hôpitaux où les infirmières se partagent les horaires de travail impopulaires. Cela réduirait les congés pour épuisement. Or, puisque ce modèle dépend des négociations collectives locales, le gouvernement ne peut pas le généraliser. Autre iniquité, une professionnelle qui déménage est menacée de perdre son ancienneté. C’est notamment pour cela que Québec veut diminuer les accréditations syndicales et centraliser les négociations.

Quant aux médecins, en tant que travailleurs autonomes, ils gèrent eux-mêmes leur horaire. La vaste majorité se dévoue corps et âme à ses patients. Mais un petit nombre peut faire du volume en clinique avec des cas légers. Comme le soutient leur ordre professionnel, il est normal d’exiger que l’organisation du travail réponde davantage aux besoins.

En théorie, cette répartition équitable serait plus juste pour le personnel soignant et plus efficace pour les patients. Mais tout dépend de la façon de faire. Par exemple, des omnipraticiens sont déjà contraints d’aller en région et le Collège des médecins juge que ça ne fonctionne pas.

Il faudra négocier.

Pour le gouvernement caquiste, il est tentant de bomber le torse face aux médecins et aux syndicats. Mais les centrales ne sont pas désintéressées non plus. Québec réduit les accréditations syndicales à quatre. Soit moins que le nombre actuel de syndicats. Lors du prochain maraudage, au moins une centrale risque de perdre des membres, et beaucoup d’argent.

Le choix du président ou de la présidente de l’agence de Santé Québec sera crucial.

Le ministère de la Santé n’a jamais pu développer une expertise en planification. La sous-ministre doit gérer 14 sous-ministres et quelque 30 PDG d’établissement, et ses sous-ministres adjoints sont débordés. Malgré eux, ils sont en mode réaction.

M. Dubé veut nommer à la tête de l’Agence un « top gun » du privé. La santé n’est toutefois pas une fabrique de motoneiges. Si le patron voit les patients comme des boulons à resserrer, ça pourrait ne pas bien aller.

Sans se faire d’illusion, M. Dubé rêve que son projet de loi soit adopté avant l’été. La patience aurait meilleur goût. En étudiant cet immense projet de loi, on pourrait y découvrir des pièges. Et surtout, il ne s’agit que d’un canevas. La clé sera la manière de l’appliquer.

M. Dubé a promis que les colonnes du temple allaient « shaker ». Pour citer le faucon pèlerin, si le but était de rassembler tout le monde, cette déclaration n’était pas très « sick »…

Le temps est venu de réduire les décibels et de trouver une façon de mieux répartir les tâches et préciser les rôles. Car au moins un constat devrait faire l’unanimité : on peut faire mieux.

1 Je fais bien sûr référence à cette déclaration-choc de Gaétan Barrette.

Lisez l’article « Barrette prédit une “troisième guerre mondiale” »

2 Selon ce théorème mi-sérieux, mi-comique, plus une discussion dérape, plus elle risque de culminer par une analogie avec les nazis.

Lisez une explication de la Loi de Godwin