Pour ses 50 ans, Chantal Tardif rêvait d’un chalet au bord de l’eau. Le rêve de la secrétaire médicale s’est évanoui le jour où son mari a reçu à l’âge de 43 ans un diagnostic de cancer incurable. Chantal a dû se lancer dans un marathon de proche aidante qui l’a menée non pas au bord de l’eau, mais au bord de la faillite, au bord des larmes.

« Vous savez cette publicité où on voit le patient et sa famille qui revolent vers l’arrière à l’annonce du diagnostic de cancer ? », me demande Chantal.

Cela décrit parfaitement bien l’état dans lequel elle s’est retrouvée ce jour de mars 2015, à son grand désespoir. L’impression d’être propulsée dans le vide, sans filet. Comment être au chevet de son mari tout en s’occupant de leur fille et en travaillant ? Comment garder pied ? Comment obtenir l’aide psychologique nécessaire tout de suite quand on nous répond qu’il y a deux ans d’attente ?

Chantal a essayé de trouver un organisme de soutien aux personnes proches aidantes en oncologie. En vain. Elle a commencé par réduire ses heures de travail pour pouvoir accompagner son mari à ses rendez-vous médicaux. Il lui a fallu ensuite, au gré des hospitalisations, arrêter complètement de travailler pendant quelque temps. Elle s’est appauvrie, endettée, épuisée.

Huit ans plus tard, Chantal n’est pas au bout de ses peines, mais retombe tranquillement sur ses pieds.

À la suite d’une greffe de cellules souches, son mari Daniel, atteint d’un myélome multiple, a défié les pires pronostics. « Le médecin nous avait dit qu’il avait 10 % de chances de s’en sortir. »

Il s’en est sorti. Lorsqu’elle a su que son amoureux était en rémission partielle, Chantal s’est fait une promesse : elle ferait de la défense des personnes proches aidantes en oncologie le combat de sa vie. L’ex-secrétaire a décidé de s’inscrire à l’université pour y étudier le droit, le travail social et la proche aidance.

C’est ainsi qu’au lieu du chalet dont elle rêvait, Chantal s’est offert un premier certificat en droit pour ses 50 ans. Avec Catherine Jodoin, une gestionnaire de 27 ans qui aurait aussi aimé pouvoir compter sur un organisme de soutien aux proches aidants d’adultes durant les deux ans où elle a accompagné son conjoint emporté par le cancer, elle vient de fonder un OBNL comblant ce vide – l’Organisme de soutien aux proches aidants en oncologie du Québec (OSPAOQ).

Chantal habite Drummondville. Catherine habite Longueuil. Elles ne se connaissaient pas avant que Catherine publie sur la page Facebook de l’Appui pour les proches aidants un témoignage dans lequel Chantal s’est reconnue.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Catherine Jodoin

La première fois qu’elles se sont parlé, la conversation a duré deux heures.

« Catherine a écouté un peu ma folie et a décidé d’embarquer avec moi. Je vous dirais qu’elle est aussi folle que moi ! », lance Chantal, en éclatant de rire.

J’ai voulu vérifier auprès de Catherine. C’est vrai ce qu’elle raconte, Chantal ? Vous êtes aussi… folle ? Catherine a éclaté de rire elle aussi. « Un peu, oui, pas mal ! »

On parle ici d’une folie inspirante qui pousse deux femmes passionnées à unir leurs forces et leurs expériences sans compter leurs heures pour se consacrer bénévolement à un projet essentiel qui ne bénéficie encore d’aucune subvention.

« Quand j’ai quelque chose à cœur, je n’ai aucune limite. Rien ne m’arrête », me dit Catherine, qui est titulaire d’une maîtrise en gestion des opérations de HEC Montréal.

Son expérience de proche aidante de l’âge de 24 à 26 ans l’a marquée à jamais. « Tout ce que j’ai vécu comme injustices, je ne veux plus que ça arrive à d’autres », dit-elle en faisant notamment référence à la difficulté de faire reconnaître son statut de proche aidante.

« Tout ce qu’on veut, c’est améliorer les services et les soins pour que personne n’ait à revivre la détresse que Catherine et moi avons vécue », résume Chantal.

Elle mène son combat sur plusieurs fronts. Dans l’arène politique, elle travaille notamment à un projet de loi qui ferait en sorte que les patients et les proches aidants surendettés ou en faillite à cause de la maladie ne soient pas pénalisés comme elle l’a été, alors qu’il lui est devenu impossible d’obtenir du crédit. Pour se loger ou avoir une voiture, elle a dû faire appel à ses parents.

Ceux qui n’ont pas de ressources ni d’assurances privées, comment ils font ?

Chantal Tardif

Sur le front pratico-pratique, l’OBNL veut notamment offrir de l’aide pour que les proches aidants puissent obtenir le crédit d’impôt auquel ils ont droit. Pour l’heure, seule une infime minorité arrive à l’obtenir, même si l’on sait que les proches aidants font économiser à l’État des sommes astronomiques. Faute d’informations, on se dit d’emblée que c’est trop compliqué et que ce sera refusé.

Est-ce à dire qu’il faut un doctorat en crédit d’impôt pour y arriver ? « Non ! Il faut avoir un front de bœuf, poser les bonnes questions et prendre le temps d’envoyer le formulaire ! », dit Chantal, qui a aidé récemment une proche aidante à récupérer 18 000 $ en crédit d’impôt.

Comme le lui a dit un philanthrope, qui l’appuie dans son combat : « Chantal, t’as un front de bœuf, mais un bon front de bœuf ! Tu fonces quand c’est le temps de foncer ! »

Avis aux proches aidants : vous pouvez maintenant compter sur deux belles folles et leur front de bœuf.

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