« Ma femme me dit ça : “T’as le don de choquer, d’insulter et ça passe” », a confié Gilles Proulx le 5 octobre 2022, lors d’une émission spéciale célébrant ses 60 ans de carrière.

L’émission, diffusée sur QUB radio, était animée par Richard Martineau, qui a avoué être « un peu nerveux » quand vient le temps d’aborder certains enjeux en ondes avec le polémiste.

Richard Martineau a raconté que parfois, en sortant du studio, il confiait à son boss : « Tabarnouche, Gilles a encore parlé de cigarettes à plumes pis de grosses torches… »

Le boss lui répondait alors comme s’il ne pouvait rien y faire : « C’est Gilles ! C’est Gilles… »

Que voulez-vous, à 82 ans, on ne le changera pas. De toute façon, tout ce qu’il crache en ondes, ça passe.

Enfin, ça passait… jusqu’ici.

Les élus de Québec solidaire (QS) ont annoncé jeudi qu’ils boycotteront désormais la radio web de Québecor1. Leurs collègues libéraux ont réclamé le départ de Gilles Proulx. La classe politique s’est indignée. Même le premier ministre a condamné « cette haine » qui « n’a pas sa place ».

Les propos à l’origine de cette fronde ont été tenus le 10 mars. « Ce sont des bâtards, c’est tout ce qu’ils sont », vitupérait Gilles Proulx à propos des députés de QS, avant de se raviser : à bien y penser, ils étaient aussi des « cochonneries », des « menteurs » et de la « gangrène ».

Bref, pour Gilles Proulx, une petite journée ordinaire au bureau.

PHOTO ÉDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Gabriel Nadeau-Dubois, chef parlementaire de Québec solidaire

Normalement, ça aurait dû passer, comme tout le reste. Sauf que, cette fois, Gabriel Nadeau-Dubois en a eu marre. Il a réagi par communiqué : « Nous sommes des êtres humains. Nous avons des familles. Il y a des limites. »

Gilles Proulx affirme avoir été cité hors contexte. Pas pour les insultes, qu’il maintient. Mais pour la partie où, après avoir traité le chef de QS de « bel hypocrite », il conclut : « Alors, les Anglais ont vraiment raison de dire qu’on devrait les achever une fois pour toutes, ces épais. »

Gilles Proulx soutient avoir été mal compris ; il n’a pas voulu dire qu’on devrait achever Gabriel Nadeau-Dubois ou ses collègues. « J’ironisais à propos de nous, les Québécois, qui malgré toutes les hypocrisies de certains politiciens, continuent de les élire », a-t-il précisé sur les réseaux sociaux.

J’ai écouté le segment en question et je veux bien croire qu’il y a eu confusion. Dans ce cas-ci, l’homme qui se targue de si bien manier la langue aurait probablement eu avantage à être plus clair.

Mais dans les autres cas ? Le 7 septembre dernier, par exemple, Gilles Proulx a vociféré en ondes contre les libéraux, « des bâtards de démagogues puants ! À abattre ! À abattre ! Le Parti libéral, c’est un parti de caves ou de voleurs » !

Il s’en trouvera pour dire que ce n’est pas ce qu’il a voulu dire. Qu’il ne s’agit pas vraiment d’un appel à la violence. Mais après 60 ans de carrière, il me semble que Gilles Proulx devrait connaître la portée de ses mots.

En fait, je crois qu’il la connaît fort bien, mais qu’il s’en sacre. Pourquoi s’en soucierait-il, puisque ça fait 60 ans que ça passe ?

Gilles Proulx distribue les insultes à tout vent. Voici quelques perles tirées du Club des mal cités, un site web alimenté par le chroniqueur Olivier Niquet.

Pour Gilles Proulx, donc, Valérie Plante est une « pauvre niaiseuse ricaneuse » (2021) ; une « connasse » (2020) ; « une ignorante de première classe » (2019).

Les Québécois : « une nation d’eunuques, de bonasses » (2020) ; une société « de maudites feluettes, de dégénérés intellectuels » (2020) ; « un peuple de caves » (2019) ; « un peuple de lâches, de chieux en culottes » (2013).

Les jeunes : des « archiparesseux », des « maudits parasites » (2013).

Les juifs hassidiques : des « espèces de malades mentaux » (2020).

En mars 2020, Gilles Proulx a suggéré d’envoyer le SWAT pour démanteler les barricades autochtones dressées sur certaines voies ferrées. « Ça se réglerait. Ah, mais il pourrait y avoir un mort… Ben oui, tu fais pas d’omelettes sans casser des œufs ! »

Oui, il a vraiment dit ça.

Et, comme d’habitude, ses propos ont été accueillis par un silence assourdissant.

Gilles Proulx prétend être mal cité. Il se plaint du procédé : on isole généralement un segment de sa chronique pour mieux le condamner ou le tourner en dérision.

C’est peut-être vrai, mais avouez que ça commence à faire beaucoup de phrases citées hors contexte, qui ne voudraient pas dire ce qu’elles veulent vraiment dire…

Et puis, Gilles Proulx collectionne les blâmes du Conseil de presse du Québec : depuis 1989, pas moins de neuf plaintes ont été retenues contre lui.

Mention spéciale au blâme sévère que lui a servi le Conseil en 1995 pour sa description des femmes assistées sociales : « des grosses torches qui mangent des chips et boivent du cola en écoutant les émissions les plus stupides ».

Il y a bien une fois où ça n’a pas passé du tout.

En septembre 2005, Gilles Proulx a pulvérisé les bornes de la décence. Même pour TQS, le mouton noir de la télé, qui l’avait suspendu pour ses propos révoltants.

Il était question d’une adolescente de 14 ans, victime d’un viol et d’une tentative de meurtre. Son agresseur l’avait frappée à la tête avec une roche et avait tenté de la noyer dans le fleuve Saint-Laurent.

À l’émission L’avocat et le diable, Gilles Proulx avait laissé entendre que tout ça, c’était la faute de la victime, une « petite cochonne », « avec les seins presque à l’air pis les anneaux dans le nombril pis dans le nez ».

La « petite garce » n’était pas innocente, elle était « provocante ». Elle s’est jetée dans la gueule du loup, avait-il pesté, hors de lui. « Tant pis pour elle ! »

Je vous rappelle que ça s’est passé en 2005, pas en 1950.

Après un dérapage aussi odieux, Gilles Proulx n’aurait jamais dû retrouver le privilège d’avoir un micro.

1. Lisez l’article « Québec solidaire va boycotter QUB Radio »