L’histoire avait secoué le Québec, en janvier : Andrée Simard, veuve de l’ancien premier ministre Robert Bourassa, avait connu une fin de vie dans une totale indignité, au Centre hospitalier de St. Mary.

C’est sa fille Michelle Bourassa qui avait raconté ces jours sombres de novembre 2022 dans La Presse1. Notre journaliste Denis Lessard avait fait enquête2. Si je résume : en fin de vie, Mme Simard avait subi une longue agonie. Sa douleur, selon le récit de Michelle Bourassa et de deux médecins amis de la famille, n’a jamais été convenablement soulagée.

Les demandes de ses proches ont été ignorées par le personnel et aucun médecin traitant n’était disponible, Mme Simard ayant eu la fort mauvaise idée de commencer à mourir une fin de semaine…

Bref, les petites cases procédurales ont eu le dessus sur le gros bon sens et Mme Simard a subi trois jours d’agonie, sans la sédation palliative qui lui aurait assuré une fin de vie digne et sans souffrance.

Près de trois mois après la médiatisation de la mort d’Andrée Simard, la poussière est retombée. Des enquêtes sont en cours, notamment au Collège des médecins.

Mais Michelle Bourassa, elle, ne décolère pas.

« Christian Dubé, le ministre de la Santé, m’a appelée pour me présenter ses excuses, me dit-elle, en entrevue. Mais je lui ai dit : “Ne vous excusez pas, faites ce qu’il faut !” »

Sa lettre dans La Presse et l’enquête de Denis Lessard ont libéré une parole, dit-elle. Michelle Bourassa a reçu un tsunami de témoignages, des gens qui lui ont raconté avoir eux aussi vu un proche mourir sans que ses douleurs aient été soulagées.

Depuis la mort de celle qu’elle appelle « la femme de [sa] vie », la fille de l’ancien premier ministre est en mission : elle veut que les approches et les mentalités changent, dans les hôpitaux du Québec.

Pour mener à bien cette mission, Michelle Bourassa a créé avec des amies une page Facebook (#MortEnSilence - Pour le respect des droits fondamentaux en fin de vie). Elle invite les gens à s’abonner à la page et à remplir un formulaire pour documenter les cas de morts indignes, à l’aide d’un registre : « Ça se passe partout, constate-t-elle. Montréal, Saint-Jérôme, Sherbrooke : on a des témoignages de partout au Québec. Avec le registre qu’on compile, on veut avoir un portrait clair des droits qui ne sont pas respectés, pour les personnes en fin de vie. »

Ces droits existent et ils sont énoncés dans la Loi concernant les soins de fin de vie3. Michelle Bourassa trouve important que les Québécois en fin de vie – et leurs proches – connaissent ces droits.

Dans le cas de ma mère, plusieurs droits n’ont pas été respectés par l’Hôpital St. Mary. Entre autres : ma mère est morte dans une chambre partagée avec une autre personne : elle avait droit à une chambre individuelle. On ne nous a pas offert de soutien. Elle n’a pas eu droit à la sédation palliative continue…

Michelle Bourassa, fille d’Andrée Simard

Mme Bourassa cite aussi le droit à recevoir des soins de fin de vie à domicile et de bénéficier d’un plan de traitement clair.

Elle constate que les Québécois connaissent mal leurs droits quant à la fin de vie et que les hôpitaux, eux, peuvent ainsi tourner les coins rond.

« Ce que je veux, c’est qu’on continue à parler de cet enjeu, car on sait comment ça marche : avec le temps, on oublie. Et je ne veux pas qu’on oublie. »

En entrevue, Michelle Bourassa est intarissable à propos de ces morts indignes, trop nombreuses selon elle. Trois mois après sa sortie dans La Presse, elle fait de la fin de vie de ses concitoyens une cause personnelle : « Avant ça, je ne savais pas à quoi je servais sur Terre. Là, je le sais ! »

Elle parle « d’omerta » du personnel soignant et des syndicats : « On t’en dit le moins possible et quand tu poses des questions, tu les fais chier, tu les déranges, ils n’ont pas de compassion… »

Quand elle a pesté, au Centre hospitalier de St. Mary, on lui a signifié qu’un ombudsman des patients prenait les plaintes. Elle s’emporte à ce souvenir : « Ma mère est morte la fin de semaine, l’ombudsman n’est pas là, la fin de semaine. Et nous n’avions pas besoin d’une réponse dans 45 jours… »

Michelle Bourassa veut aussi porter le message de l’importance des soins palliatifs à domicile. Elle cite l’exemple de l’OBNL Nova Soins à domicile, qui sert des centaines de patients grâce à des dons privés et de fondations… Et très peu de financement public4.

« Ma mère a utilisé les ressources de l’hôpital pendant trois jours, trois jours de trop. Si on m’avait offert l’option des soins palliatifs à domicile, ça aurait coûté 50 % moins cher. Au lieu de ça, on se retrouve en fin de vie dans des hôpitaux… Où ils botchent ! »

Le lecteur apaisé dira que Michelle Bourassa exagère. Sans doute que la colère suscitée par la mort douloureuse de sa mère Andrée lui fait perdre quelques nuances, j’en conviens aisément.

Mais ce n’est pas non plus en acceptant les situations inacceptables, tête baissée, que les choses vont changer…

« Je veux être la gardienne de ces cas-là », me dit-elle.

AU-DELÀ DU FAIT DIVERS — Il y a deux semaines, je me suis ému en chronique du sort de cet adolescent de 15 ans, poignardé à Longueuil. J’avais parlé à son grand-père, qui était dans tous ses états devant les séquelles permanentes subies par son petit-fils…

Quelques échos de l’école secondaire de la victime me sont parvenus. Des profs seraient fâchés, je n’aurais pas tout le portrait, l’ado poignardé serait lui-même vecteur de trouble, chuchote-t-on…

Je ne sais pas si c’est vrai.

Je sais juste ceci : un ado a été poignardé, présumément par deux autres ados, et c’est épouvantable. C’est épouvantable, pour l’un et pour les autres. C’est épouvantable pour les agresseurs, aussi, des adolescents. Ça commence mal une vie, pour l’un et pour les autres.

C’était ça, la chronique : l’horreur à retardement, au-delà du fait divers, au-delà du on-ne-craint-pas-pour-sa-vie, l’onde de choc dans la vie d’un jeune de 15 ans – juste 15 ans – et dans la vie de ses proches. Et lancez-moi une pierre si vous le voulez, mais j’ai aussi une pensée pour les deux petits cons qui ont été accusés…

À cet âge-là, même s’ils ont du poil au menton, ils sont ce qu’ils sont : des enfants.

1. Lisez une lettre d’opinion de Michelle Bourassa 2. Lisez l’article « Mort d’Andrée Simard : dans la douleur et la détresse » 3. Lisez les grandes lignes de la Loi concernant les soins de fin de vie 4. Lisez la chronique « Vers une belle mort »