C’est un chassé-croisé pathétique auquel on a assisté ces derniers jours entre la Ville de Montréal et le gouvernement du Québec dans le dossier de l’hébergement à court terme.

Qui, entre les deux, devrait garder un œil sur les milliers de logements qui se louent illégalement sur la plateforme Airbnb ?

Encadrer cette jungle ?

Sévir contre les récalcitrants ?

Toi ! Non, toi !

Il aura fallu un incendie dévastateur dans le Vieux-Montréal et sept victimes, dont la jeune Charlie Lacroix, 18 ans, pour que les failles gigantesques du système soient exposées au grand jour1.

Et pour que Québec se dégourdisse et s’engage enfin à mieux encadrer les plateformes comme Airbnb.

Lundi, c’était le défilé des politiciennes devant les ruines de l’immeuble patrimonial du Vieux-Montréal, où plusieurs appartements se louaient sur Airbnb.

Valérie Plante, mairesse de Montréal, puis Caroline Proulx, ministre du Tourisme, sont passées à tour de rôle devant les caméras.

Elles ont exprimé leur effroi par rapport à la tragédie, bien sûr. Mais elles ont aussi (et surtout) illustré de façon éclatante toute la confusion qui règne dans le dossier de l’hébergement à court terme.

Les inspecteurs de Revenu Québec, chargés de faire respecter la Loi sur l’hébergement touristique, n’ont pas à sanctionner ceux qui louent illégalement des appartements là où c’est interdit, a déclaré la ministre Proulx.

Finalement… oui, a rectifié son cabinet quelques heures plus tard.

Assez étourdissant.

Les règles entourant la location à court terme sont pourtant claires, sur papier.

Les villes (ou les arrondissements) décident où elles acceptent la location à court terme.

Ceux qui souhaitent offrir un logement en location, à l’intérieur des zones permises, demandent un certificat à la Corporation de l’industrie touristique du Québec (CITQ).

Revenu Québec récolte des taxes sur toutes les locations faites par l’entremise des plateformes comme Airbnb.

Tout ce beau monde communique et détient un portrait clair de la situation.

En théorie, donc, tout baigne, mais dans la réalité, les villes ont toutes les misères du monde à faire appliquer leur propre réglementation.

Sur les 14 000 hébergements à court terme offerts dans l’île de Montréal, 92,5 % ne détiennent aucun permis, selon le site Inside Airbnb.

Seulement dans le Vieux-Montréal, où la location à court terme à des touristes est pourtant interdite, on trouve des centaines de logements illégaux affichés sur Airbnb2.

La loi du marché prévaut, et au diable les règlements.

Débusquer les délinquants relève d’un véritable jeu du chat et de la souris. Valérie Plante a parlé d’un « parcours du combattant », lundi, et sa description semble malheureusement assez proche de la réalité.

J’en ai discuté avec Alain Barabé, ancien inspecteur-chef de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve, un arrondissement montréalais où la location à court terme est interdite sur presque tout le territoire.

Il m’a expliqué les écueils énormes auxquels lui et son équipe de sept inspecteurs ont dû se buter, sur le terrain.

Premièrement, rappelle-t-il, les adresses des logements à louer ne sont pas inscrites sur le site Airbnb. On voit seulement un emplacement approximatif, sur une carte, et rarement une photo de la façade.

Pour démarrer une enquête, les inspecteurs doivent recevoir une plainte, ou encore constater une infraction flagrante, comme des déchets qui s’empilent ou une fête trop bruyante.

Une fois le logement identifié, le vrai chemin de croix commence.

Il faut convaincre des voisins de venir témoigner, ce qui n’est jamais facile. Créer un faux profil sur Airbnb, dans le but de faire une location et prouver qu’une transaction a eu lieu. Monter une « preuve », en somme, pour démontrer devant un éventuel tribunal que le logement a bel et bien été loué illégalement.

« On n’a jamais été capable de faire condamner quelqu’un », résume Alain Barabé, retraité depuis un an et demi.

Le Plateau-Mont-Royal employait déjà ces techniques d’enquête peu fructueuses il y a 10 ans, m’a raconté l’ancien maire Luc Ferrandez.

Ces méthodes sont encore utilisées aujourd’hui, confirme le maire actuel, Luc Rabouin. Il m’a mentionné un cas réel, où un employé de l’arrondissement a dû effectuer une location fictive et déposer un dossier contenant pas moins de 17 documents et rapports différents, afin de prouver un cas de location illégale.

Un temps fou consacré à un seul dossier.

Une goutte dans l’océan, surtout : le Plateau-Mont-Royal à lui seul compte près de 3000 logements offerts sur Airbnb, pour la plupart sans permis.

Mieux vaut (très) tard que jamais : Québec changera finalement ses règles pour forcer Airbnb et les autres plateformes du genre à vérifier la conformité des logements offerts en location à court terme.

Caroline Proulx entend déposer d’ici l’été un projet de loi qui viendra forcer ces sites à exiger un numéro d’enregistrement de la CITQ avant de publier une annonce. La vérification sera « double », m’a-t-elle dit en entrevue, puisque Québec les obligera aussi à publier une photo du certificat.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Caroline Proulx, ministre du Tourisme

« Peu importe quelle plateforme, quel moyen de communication vous utilisez, vous allez devoir avoir un double enregistrement », a-t-elle martelé au bout du fil.

Québec veut aussi multiplier et rendre plus salées les amendes, qui peuvent déjà se chiffrer en milliers de dollars. « Si le locateur a 10 portes à Montréal et qu’il n’est pas légal, il aura 10 amendes, et la plateforme, elle aussi, aura 10 amendes. »

Cette modification réglementaire était déjà dans les plans depuis décembre, soutient la ministre, mais son annonce a certainement été bousculée par l’incendie horrible de jeudi dernier.

Le grand coup de barre promis par Québec fera sans aucun doute suer la multinationale Airbnb et tous ceux qui comptaient sur la location à court terme pour engraisser leur compte en banque. Ça risque de ruer dans les brancards.

Cette réforme pourrait avoir un effet bénéfique corollaire.

Celui de faire réapparaître, comme par magie, des milliers d’appartements dans le marché locatif traditionnel, en pleine crise du logement.

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