Les amateurs de sensations fortes seront déçus. Le budget qui inaugure le deuxième mandat caquiste n’a rien d’excitant, et le ministre des Finances, Eric Girard, doit s’en réjouir.

Les budgets attirent rarement l’attention pour les bonnes raisons. Les souvenirs les plus vifs remontent aux compressions du gouvernement Couillard ou à ses offrandes distribuées juste avant la campagne électorale.

Il n’y a rien de tel dans le nouveau budget Girard. Le ministre se vante d’être prévisible. Sa mesure phare : baisser tel que promis les impôts des particuliers, tout en restant « prudent et responsable ».

Ce que M. Girard essaie aussi, c’est d’avoir le don d’ubiquité. Le ministre veut être partout à la fois. Il promet de réduire la dette et de rééquilibrer le budget, tout en réinvestissant dans les services publics. Il déplore l’insuffisance du transfert fédéral en santé, tout en assurant avoir assez d’argent pour financer la hausse des coûts de système.

La santé mentale et le logement reçoivent des sommes modestes, et en environnement, les mesures costaudes se font attendre. Mais dans l’ensemble, c’est le budget du grand écart.

Depuis son arrivée au pouvoir, la Coalition avenir Québec (CAQ) a profité des surplus laissés par les libéraux, de l’aide fédérale durant la pandémie et de la hausse imprévue des revenus provoquée par l’inflation.

Elle pouvait s’étaler au centre et en offrir pour tous les goûts. Mais plus le temps passera, plus cette position deviendra inconfortable.

Les caquistes se vantent de réduire les impôts sans réduire les services. À court terme, cela fonctionne. La baisse d’impôts est en effet financée par une réduction des contributions au Fonds des générations, et ce, sans trop alourdir la dette.

Mais pour la suite, les courbes ne mentent pas.

La croissance moyenne des revenus est d’environ 3 %. Même chose pour les dépenses. Or, en santé, la hausse des coûts de système dépasse 4 %. Elle gruge une part de plus en plus grande des fonds publics. Il en restera donc de moins en moins pour le reste. Comme pour l’accès à la justice déjà bloqué, pour les municipalités avec des transports collectifs déficients, ainsi que pour la renégociation des conventions collectives afin de régler la pénurie de main-d’œuvre en éducation et ailleurs.

L’approche caquiste à long terme pourrait se résumer ainsi : offrir plus avec moins.

Il est beaucoup trop tôt pour crier à l’austérité.

À court et moyen terme, les projections sont rassurantes. Le déficit diminuera chaque année. D’ici cinq ans, il sera éliminé.

Mais si on regarde un peu plus loin, les nuages apparaissent. L’Institut du Québec prévoit qu’en 2030, les dépenses pourraient dépasser les revenus.

Des choix délicats devront alors se faire, et M. Girard se complique la tâche. Il y aura une deuxième baisse d’impôts. Une fois l’équilibre budgétaire atteint, il s’engage à récidiver avec un nouveau répit fiscal. En 2027, si son plan fonctionne. Par magie, ce calendrier coïncidera avec la prochaine campagne électorale.

Au même moment, M. Girard sera aussi sous pression pour bonifier les services. Car il existe une version politique de l’inflation, celle des besoins qui croissent sans cesse.

Alors que les services assurés peinent à être offerts partout sur le territoire, il y a une demande pour élargir l’offre. Deux récents exemples : les demandes pour rembourser les consultations en psychothérapie ainsi que les soins dentaires aux moins nantis.

La même mécanique s’observe avec les infrastructures. Les écoles, hôpitaux et routes se dégradent plus vite qu’on ne réussit à les réparer. Et en même temps, on promet d’en construire toujours plus. Les sommes prévues pour les nouveaux projets augmentent quatre fois plus que celles consacrées à la réfection.

M. Girard soutient que son plan demeure prudent.

La dette du Québec est à la baisse, alors que celle des autres provinces est à la hausse.

Notre cible pour 2025 (ratio dette/PIB de 45 %) a été atteinte. Le prochain objectif serait aussi réalisé, quoique reporté de cinq ans. Et le coût des intérêts sur la dette diminue.

Selon lui, il y aurait de la marge de manœuvre. Et un besoin, car le Québec est la province qui impose le plus les particuliers.

Mais en contrepartie, les Québécois reçoivent plus de services. Les impôts et les services sont indissociables. Comme le résume l’économiste Pierre Fortin dans son mémoire prébudgétaire : la pression sur les services publics sera « explosive ». Selon lui, promettre d’y répondre tout en réduisant le financement serait un « non-sens ».

Les caquistes croient avoir la population derrière eux. Leur position est payante. Ils séduisent la « classe moyenne », une catégorie floue qu’on pourrait définir politiquement de la façon suivante : tous ceux qui ont l’impression de payer trop d’impôts et d’être moins riches que leur voisin.

Voilà une des recettes du succès caquiste. Il sera facilité tant qu’on pourra promettre de tout faire en même temps. En d’autres mots : pour une durée limitée.

On pourrait voir réapparaître le discours de la CAQ mis de côté depuis son arrivée au pouvoir, celui sur « l’efficacité » de l’État.