Personne ne l’avait vu venir. Vendredi dernier, la diplomatie chinoise a annoncé qu’elle avait non seulement assis à table les deux plus grands rivaux du Moyen-Orient, l’Iran et l’Arabie saoudite, mais également réussi à les rapprocher jusqu’à une poignée de main.

Clap, clap, clap en Chine. Aux États-Unis ? Une nonchalance peu crédible.

Depuis le début de l’invasion russe de l’Ukraine, les cartes de l’ordre mondial sont rebrassées à une vitesse folle et l’Occident, s’il a plusieurs atouts en main, est loin d’avoir tous les as et les jokers.

Du côté chinois, la chorégraphie de l’annonce de cette victoire diplomatique avait les airs d’un grand ballet, avec le président Xi Jinping dans le rôle du danseur étoile.

Premier acte. Au moment même où on apprenait que, grâce aux efforts de la Chine, Riyad et Téhéran mettaient fin à sept ans de couteaux tirés et s’engageaient mutuellement à rouvrir leurs ambassades dans le pays adverse, Xi était reconduit au poste de président pour la troisième fois avec un vote à l’unanimité du Parlement chinois.

Deuxième acte. Deux jours plus tard, les plus proches alliés du président étaient élus dans des postes clés de la législature chinoise. Sans opposition.

Troisième acte. Lundi, en clôture de la session annuelle du Parlement, celui qui veut s’imposer comme le plus puissant dirigeant chinois depuis Mao Zedong a profité de sa tribune pour affirmer que la Chine compte jouer un rôle de plus en plus important sur la scène internationale, se présentant comme un garant de la « stabilité » mondiale, tout en promettant de faire de l’armée chinoise un « mur d’acier » contre toute ingérence étrangère dans les affaires du pays.

En d’autres termes, promettre la paix, tout en laissant entendre qu’elle peut se prendre par la force, notamment à Taiwan.

« Après un siècle de lutte, notre humiliation nationale a été effacée… la grande renaissance de la nation chinoise est sur un chemin irréversible », a dit le dirigeant du pays le plus populeux du monde, à la tête des deuxièmes économie et armée en importance de la planète.

Clap, clap, clap.

PHOTO NOËL CELIS, REUTERS

Le président chinois, Xi Jinping, applaudit après la session de clôture de l’Assemblée nationale populaire, lundi.

Hormis d’être un faire-valoir pour le président chinois qui a eu une dure année avec la contestation populaire de la politique de zéro COVID et des résultats économiques tièdes, que veut dire l’entente entre l’Iran et l’Arabie saoudite parrainée par Pékin ?

Dans le contexte où l’attention des États-Unis est retenue en Ukraine, à la fois par une guerre des tranchées et par une guerre de l’énergie, la Chine a saisi l’occasion de se rapprocher à la fois de l’Arabie saoudite et de l’Iran, deux des plus grands producteurs de pétrole au monde, estime Paul E. Lenze Jr., professeur de politique et d’affaires internationales à la Northern Arizona University. Par ailleurs, « l’Iran et l’Arabie saoudite sont des pays voisins et ont beaucoup plus à gagner à travailler ensemble plutôt que l’un contre l’autre », croit l’expert à la fois de l’Asie et du Moyen-Orient.

L’entente est aussi la confirmation que les États-Unis ont perdu beaucoup de plumes d’influence dans le grand monde musulman depuis le 11 septembre 2001. Après l’invasion de l’Irak par Bush fils ; après la décision de Barack Obama de ne pas intervenir en Syrie quand le régime de Bachar al-Assad a dépassé ses lignes rouges et a laissé la place à la Russie ; après la décision de Donald Trump de mettre fin unilatéralement à l’entente sur le nucléaire que l’Iran avait signée avec les grandes puissances ; après le retrait de l’Afghanistan chaotique supervisé par Joe Biden, difficile de voir les États-Unis comme une grande force stabilisatrice dans cette région du monde.

Dans ce contexte, la Chine offre une solution de rechange, une « médecine chinoise là où la médecine occidentale a échoué », pour reprendre la formule utilisée dans les derniers jours par un responsable chinois.

« En marge de la guerre en Ukraine, la Chine se présente comme un acteur qui peut équilibrer le système mondial pendant que la Russie et les États-Unis le déstabilisent », note Marie-Joëlle Zahar, professeure de science politique à l’Université de Montréal, rappelant que le pays est bien vu dans une grande partie du Sud global.

La Chine finance notamment les opérations de maintien de la paix des Nations unies, en plus de collaborer avec beaucoup de pays du monde émergent, soit par l’entremise d’ententes commerciales ou par des investissements en infrastructures.

La Chine fait aussi la promotion depuis peu de son « initiative de sécurité globale » et s’offre comme médiatrice pour dénouer des conflits, notamment en Afrique.

« Si la reprise des relations entre l’Arabie saoudite et l’Iran donne des résultats [pour freiner la guerre] au Yémen, les Chinois vont gagner gros », ajoute l’experte du Moyen-Orient et de la résolution de conflits.

Un gain pour la Chine n’équivaut pas à une grande victoire pour l’humanité. « Quand les pays autoritaires se mettent à s’entendre entre eux, ça ne veut pas dire que ce sont de bonnes nouvelles pour le système international que nous essayons de construire », ajoute Mme Zahar.

Au cœur de ce système, il y a le commerce international, bien sûr, mais aussi la justice internationale et le respect des droits de la personne. Et ce dernier concept est particulièrement mis à mal dans la Chine de Xi Jinping, dans l’Iran de l’ayatollah Khamenei et dans l’Arabie saoudite de Mohammed ben Salmane.

Tout ça annonce, au mieux, une paix sans âme.