Le métier, les médias, la salle de rédaction de La Presse, et vous.

On nous répète en boucle, ces jours-ci, que l’ingérence chinoise n’a pas eu d’effet sur le résultat final des élections de 2021.

Fort bien.

Mais il y a une chose dont on doit se méfier collectivement, presque autant que de l’influence de puissances étrangères : c’est le doute.

Le doute que cette histoire peut insinuer dans la tête de l’électorat canadien quant à la crédibilité du processus électoral.

Imaginez si les Canadiens commençaient à se méfier de leur système électoral.

Imaginez s’ils se demandaient si tel ou tel député avait bel et bien été élu de manière légitime, ou s’il avait reçu l’aide d’une force occulte.

Imaginez s’ils finissaient par s’interroger sur la validité du résultat électoral final.

C’est un scénario cauchemardesque… qui fait écho à ce qui se passe ces jours-ci aux États-Unis.

La démocratie américaine en a vu d’autres au fil de son histoire, mais elle est particulièrement sous pression depuis quelques années, alors que des attaques et des révélations ébranlent ses fondements.

Pensons seulement au rapport Mueller de 2019, qui révélait une ingérence « vaste et systématique » de la part de la Russie pour s’immiscer dans l’élection présidentielle de 2016. « Moscou, concluait-il, croyait qu’une présidence Trump serait à son avantage et a œuvré pour parvenir à ce résultat. »

Et pensons aux attaques de Trump contre le système électoral, en 2020, alors qu’il cherchait à discréditer l’élection de son rival, Joe Biden. Il évoquait « la triche », « le système de vote corrompu », « la fraude électorale ».

Une tentative à haut niveau de jeter le discrédit sur le processus électoral, qui a clairement porté ses fruits, comme l’a montré l’assaut du Capitole américain.

Or, ce qu’on apprend en plus ces jours-ci, grâce à la poursuite civile entreprise par Dominion Voting Systems, c’est qu’une autre institution importante du rouage démocratique a été complice du doute qu’a voulu installer Trump sur le résultat électoral de 2020 : un grand média.

Des animateurs de Fox News ont sciemment menti en ondes en soutien de Trump et de ses faussetés répétées, afin de flatter son auditoire dans le sens du poil.

Ils ont ainsi transformé un bulletin d’information en séance de désinformation, avec l’effet qu’on devine : une majorité des électeurs à tendance républicaine doutent aujourd’hui du résultat électoral.

Un constat accablant, qui mine d’une part la crédibilité des médias en général, après des années passées à essuyer les attaques vicieuses de Donald Trump, qui les a dépeints en « ennemis du peuple ».

Un constat accablant, qui a d’autre part le potentiel de miner la crédibilité des prochains rendez-vous électoraux, en raison du doute qui plane désormais.

Ce qui nous amène à notre propre système électoral, sur lequel un doute a été jeté, ici aussi.

Notre propre système électoral ? Soumis à l’ingérence directe d’un pays étranger ? Vraiment ?

Certes, les allégations sont moins fortes que celles de Mueller, moins profondes que ce qu’on a vu aux États-Unis.

Mais on aurait tort de les minimiser, sous prétexte que la Chine n’a pas vraiment influencé l’issue du vote il y a deux ans pour passer à un autre appel.

Il faut donc s’assurer de l’intégrité des élections à venir, ça va de soi. Mais il faut aussi tout faire pour en préserver la réputation, auprès du grand public.

Car la réputation de nos institutions (processus électoral, système de justice, médias, etc.) – et donc leur légitimité – s’appuie sur une confiance collective toujours vulnérable. Comme le montre la situation aux États-Unis, où Trump a réussi à semer le doute, sans aucune preuve ni démonstration.

Car le doute, c’est comme le dentifrice sorti du tube : une fois qu’il s’est échappé, bien difficile de revenir en arrière.

Écrivez à François Cardinal