C’est mercredi, jour des confessions selon l’horoscope ouzbek, alors je plonge… Je viens de m’habituer au mot « autrice ».

Au début, ma langue faisait des crocs-en-jambe à « autrice », elle voulait dire « auteure ».

Puis, je me suis habitué. C’est comme le prénom Horace : j’ai une amie qui a donné un vieux prénom à son enfant (pas Horace, mais dans les mêmes eaux). Chaque fois que son prénom percolait à la surface des choses, je pensais à un poète né avant le Christ ou à un obscur ministre québécois du XIXe siècle…

Jadis, pour décrire quelqu’un de particulièrement idiot, j’utilisais le mot « mongol ». Ça ne plaisait pas à tout le monde et ça me valait ponctuellement des tomates de lecteurs courroucés. Mais j’aimais bien « mongol » : tout Québécois né avant 1990 comprend cette expression.

Puis, un jour, une dame m’a envoyé la photo de son fils adolescent trisomique et commis d’épicerie, splendide dans son habit IGA – ou peut-être était-ce Metro –, en me racontant comment il se levait chaque matin tout fier d’aller emballer la commande (je sais, je sais, ça ne se dit plus) des clients…

« Savez-vous ce qui le rend triste, M. Lagacé ? Quand des gens le désignent comme un mongol… »

Je n’ai plus jamais utilisé « mongol ».

Je suis assez vieux pour me souvenir qu’« infirme » est tombé en désuétude : le mot « handicapé » s’est peu à peu imposé.

Mais après quelques années, des militants se sont levés et ils ont désigné « handicapé » en maugréant : Oui, mais le handicapé n’est pas que handicapé, vous savez, c’est d’abord et avant tout une personne !

L’expression « personne handicapée » s’est donc immiscée dans le langage. Je rechigne à l’utiliser et on me l’a reproché. Je trouve que handicapé fait très bien la job. Sans compter que l’essentiel de mon lectorat n’est pas idiot à temps plein : il sait que les « handicapés » sont des « personnes ».

Je pensais bien qu’on était rendus, avec « personne handicapée », au bout du lexique pour désigner les personnes qui sont en fauteuil roulant, qui se déplacent avec une canne ou qui ont perdu un index… 

Sauf que non : on me reproche désormais de ne pas utiliser « personne vivant en situation de handicap » !

Au risque périlleux de passer pour un vilain chroniqueur quinquagénaire inconscient de ses privilèges de Blanc né dans une famille où personne n’avait atteint le cégep, je dois vous dire que « personne vivant en situation de handicap », ou même « personne vivant en situation d’itinérance », vous ne lirez jamais ça ici.

Pourquoi ?

Parce que j’écris des chroniques dans un journal, pas des formulaires du ministère de l’Inclusion. Mon refus ne vient pas d’un esprit de contradiction. Il tient à deux choses.

Un, je veux être lu1. Tout ce qui alourdit ma prose mine cet objectif.

(Si je ne suis pas lu, les boss vont m’enlever cette chronique et cela m’angoisse quand même un peu, car j’ai un enfant à nourrir. Savez-vous que ça mange en tabarslak, un garçon de 17 ans ?) 

Deux, j’ai une limite de mots à respecter, ici. Plus j’approche des 1000 mots, plus le regard du boss se noircit.

Je ne vais donc jamais écrire les étudiant.e.s parce que ça alourdit le texte, non plus que les pompier.ère.s parce qu’il y a très, très peu de pompières. Mais j’écris toujours les infirmières parce qu’il y a beaucoup plus d’infirmières que d’infirmiers.

Je n’ai rien contre l’écriture inclusive ni contre l’écriture épicène2. Mais je pense qu’on touche parfois à l’absurde quand on en fait une religion qui alourdit la prose.

Voyez l’Université Stanford qui s’est couverte de ridicule3 en pondant une liste de mots à éviter sur le campus, dont le titre ressemblait à une initiative de rééducation culturelle pilotée par le Parti communiste chinois : L’Initiative d’élimination du langage toxique.

On suggérait par exemple de proscrire les mots « chef », « gourou », « tribu », « Américains », « liste noire » et même « elle »…

Voyez Marianne qui citait en janvier4 une lettre « inclusive » de la mairie de Paris : « Vous recevrez la visite d’un.e agent.e recenseur.seuse recruté.e par la mairie de votre arrondissement et muni.e, à cet effet, d’une carte officielle. » Plus loin : « Lorsque l’agent.e recenseur.seuse se présentera à votre domicile, il.elle vous proposera de répondre par voie électronique. »

Qu’on dise l’agente recenseuse, point, on comprendra que le féminin inclut le masculin, vive l’évolution. Mais ces points qui indiquent traditionnellement la fin d’une phrase qu’on plante au milieu d’un mot, je vois juste une verrue, désolé.

Et c’est assez ironique quand on sait qu’Anne Hidalgo se dit « maire de Paris » et non pas « mairesse de Paris ».

Je comprends qu’il faut sensibiliser. Mais peut-on cesser de penser que tout le monde est à ce point sensible ?

Dans la même veine, parlons des « personnes avec des pénis », un terme qui commence à apparaître ici et là. Je conçois très bien la fluidité des genres, mais comme l’immense majorité des personnes qui ont des pénis sont des hommes, je vais écrire « les hommes », et les personnes avec un pénis qui ne se définissent pas comme « homme » vont, je l’espère, s’en remettre… 

Ou choisir de ne pas me lire.

Et je n’écrirai pas non plus (la demande viendra, c’est sûr) « personne vivant avec un pénis » ni – n’essayez même pas – « pénis en situation de personne »5.

Et si une personne insiste pour que j’utilise iel en la désignant, go, sans problème. Si Stéphane portant barbe et moustache me précise s’identifier comme femme, même chose : Stéphane sera « elle » dans cette chronique.

Oui, boss, je me suis étiré : 960 mots.

Sorry, je vais (peut-être) écrire plus court samedi.

1. D’où le titre, Mesdames et Messieurs

2. Lisez « L’écriture inclusive fait une entrée timide dans les médias » 3. Lisez « Elimination of Harmful Language Initiative » (en anglais) 4. Lisez « Écriture inclusive : “Quand l’administration emploie une langue qui n’est pas enseignée à l’école” »

5. Celle-là nous vient d’Yves Boisvert, je tiens à le préciser.