En matière d’énergie, François Legault est en train d’opérer sa transition en direct devant les caméras. Chaque semaine qui passe, son discours s’ajuste. Et c’est pour le mieux.

En campagne électorale, le chef de la CAQ voyait déjà sa statue de grand bâtisseur. Il promettait de construire des centrales hydroélectriques au Québec et d’attirer les entreprises avec notre électricité au rabais, même s’il en manquait.

Sa vision contrastait avec celle de la PDG sortante d’Hydro-Québec, Sophie Brochu. L’année dernière, elle lançait un avertissement : si l’électricité manque, les rabais sous leur forme actuelle ne se justifient plus.

M. Legault parle désormais à titre de premier ministre et son discours ne ressemble plus à du marketing électoral.

Son diagnostic de départ se fonde encore sur le plan stratégique de la société d’État : d’ici 2050, le Québec aura besoin d’environ 100 térawattheures. Cela équivaut à gonfler de 50 % la capacité de production.

Jeudi, il a précisé comment il s’y prendrait. Ses priorités : construire de l’éolien, renforcer l’efficacité énergétique et rénover les barrages actuels pour éviter les pertes.

La construction de centrales ? Cela viendrait après, si jamais cela arrive. Ce qui ressemble beaucoup à la vision de Mme Brochu.

La semaine dernière, M. Legault a aussi changé de ton face aux entreprises. Les nouveaux projets en énergie coûtent plus cher, et cette facture doit être refilée en partie aux sociétés. Le tarif sera aussi modulé en fonction de leurs retombées économiques et de la réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre.

L’annonce est survenue sans avertissement durant un point de presse.

Mardi, le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, a indiqué que parmi les 23 000 mégawatts en projets industriels sur sa table, on en retiendra au maximum 10 000. On se doutait que des investisseurs essuieraient un refus, mais aucun ordre de grandeur n’avait été donné auparavant.

Autre surprise récente : la semaine dernière, en réponse à une question, M. Fitzgibbon a annoncé à la toute fin d’un impromptu de presse que son gouvernement organiserait finalement une consultation sur l’utilisation de l’énergie pour les futurs projets industriels.

Elle ne sera pas itinérante, comme le souhaitaient les libéraux. Et elle ne se déroulera pas à l’Assemblée nationale, comme le demandaient les solidaires.

La forme exacte de la consultation n’est pas encore connue. Étant donné l’importance du sujet, la moindre des choses serait de l’ouvrir au public.

Il y aura toutefois une limite inévitable à la transparence. Car une incertitude planera sur l’exercice : la renégociation avec Terre-Neuve-et-Labrador du contrat de Churchill Falls, qui arrivera à échéance en 2041.

Depuis des décennies, Saint John’s s’adresse aux tribunaux pour casser cette vieille entente. Le ressentiment y reste vif. Pour ne pas négocier à genoux, M. Legault veut avoir un plan B. C’est aussi pour cela qu’il évoque encore la construction d’une centrale hydroélectrique.

Le premier ministre avoue que la construction d’un projet à Gull Island, sur le fleuve Churchill au Labrador, serait plus avantageuse. Le potentiel est en effet supérieur. Mais c’est loin d’être fait. En plus de s’entendre avec Terre-Neuve-et-Labrador, il faudrait l’accord des communautés innues.

Jeudi soir, M. Legault rencontrait justement Sophie Brochu pour préparer la négociation avec Terre-Neuve-et-Labrador. Elle sera évidemment confidentielle et elle ne sera pas terminée avant la fin de la consultation sur l’énergie.

Mais pour le reste, l’exercice arrive juste à temps.

Dans les prochaines semaines, les caquistes devraient adopter leur projet de loi qui plafonnera à 3 % les hausses de tarifs résidentiels et qui permettra de refuser les projets industriels de moins de 50 mégawatts. Selon quels critères faudra-t-il évaluer les projets ?

Il est trop tôt pour dire que les caquistes veulent serrer la vis aux entreprises. Il faudra lire les petits caractères du projet de loi attendu l’automne prochain, qui visera aussi à accélérer les projets éoliens.

Le projet de loi n’est pas encore écrit. D’où l’importance d’entendre les spécialistes durant la consultation sur les tarifs, les retombées économiques qui restent après les subventions et autres avantages fiscaux. Sans oublier l’efficacité et la sobriété énergétiques, pour lesquelles M. Fitzgibbon parle plus des objectifs que des moyens pour les atteindre.

Aux yeux des caquistes, le Québec n’attire plus de grands projets industriels et l’électricité est notre meilleur argument de vente. Tout dépendra du prix des critères pour évaluer les demandes.

Même si de nombreuses questions demeurent, la vision se précise peu à peu. La construction de centrales hydroélectriques au Québec n’est plus une priorité, les entreprises devront payer plus et les projets avec des retombées économiques et environnementales seront priorisés.

Il a fallu un lent effeuillage médiatique pour l’apprendre, peut-être parce que M. Legault s’est ajusté aux critiques qui ont suivi le départ de Mme Brochu. Mais cela ne change rien au fond de l’affaire : la nouvelle version est bien meilleure.