Les sites de jeu en ligne sont « illégaux », mais ils s’affichent partout. Pas moyen de regarder une émission sportive sans être submergé de pubs de poker ou de pari sportif.

Je mets des guillemets à « illégaux » parce que le truc consiste à annoncer Bet99.net, qui permet de jouer gratuitement, et non Bet99.com, qui est un site de paris payants. Il faudrait être idiot ou hypocrite pour ne pas voir que l’un mène directement à l’autre : c’est en annonçant le site gratuit qu’on ferre le poisson pour le vrai site.

Mercredi, ma collègue Ariane Krol relatait l’histoire de ce gars de 26 ans, sans histoire, nullement dépressif, qui avait une bonne job… et qui s’est fait prendre dans les rets d’un site de poker en ligne établi à l’étranger – on n’est pas tout à fait certain de quel site il s’agit.

Il a gagné 100 000 $… puis tout perdu. Le site a toutes sortes de stratagèmes apparemment pour ne pas payer tout de suite et inciter à rejouer.

Il s’est suicidé.

Bien sûr, la plupart des gens jouent raisonnablement. Comme la plupart des gens boivent raisonnablement.

Bien sûr aussi, le pari sportif en ligne n’est pas comme le poker.

Mais ils ont ceci en commun : ils sont accessibles comme jamais, plus addictifs que jamais, et plus hors de contrôle que jamais.

Le gouvernement du Québec a tenté de faire bloquer ces sites sur les serveurs internet, en 2016, pour laisser l’exclusivité à Loto-Québec. La Cour d’appel a invalidé la manœuvre, qui touche aux télécommunications, qui sont de compétence fédérale. Ottawa n’a pas l’air de vouloir s’en mêler.

Malgré cela, ce genre de mécanisme pourrait être contourné de toutes sortes de manières.

Si on ne peut pas les empêcher, doit-on pour autant en permettre la publicité ?

Le Royaume-Uni a dit non, et pour une bonne raison : des dizaines de milliers de mineurs sont accros au jeu en ligne.

Le sport est un véhicule publicitaire extraordinaire. Ce n’est pas pour rien qu’on voit Bet99 associé au CF Montréal, aux Alouettes et maintenant à la Ligue nationale de hockey.

Les plus grandes vedettes sportives sont associées au jeu en ligne. La plus grande vedette mondiale du hockey, Connor McDavid, est un porte-parole de Bet99. Wayne Gretzky aussi. Comme la star des Maple Leafs de Toronto Auston Matthews.

Quand des journalistes de CBC ont voulu lui poser des questions à ce sujet, il les a revirés de bord. Questions sur le hockey, s’il vous plaît !

Il y a pourtant des questions légitimes à poser à ces athlètes qui sont les idoles de toute une jeunesse, et qui leur vendent du gambling douteux, en fait pas douteux : illégal au Canada.

Le pari sportif, tabou dans les ligues professionnelles encore tout récemment, est maintenant autorisé aux États-Unis. La LNH et la NFL ont une équipe à Las Vegas. En même temps, on a vu se multiplier les sites de jeu et de pari établis dans des paradis fiscaux ou dissimulés derrière des écrans juridiques opaques.

L’utilisation de vedettes sportives est un magnifique système de blanchiment d’une activité qui, en plus d’être illégale, met à risque les jeunes en particulier.

D’après Santé publique France⁠1, le jeu en ligne est le fait à 72 % des 18-35 ans.

Comme disent les experts, ces jeux sont « un casino dans ta poche ». Ils sont plus addictifs encore que ceux des casinos⁠2 : on peut y jouer 24 heures sur 24, sept jours sur sept, à la maison. On ne parie plus seulement sur le résultat, mais sur toutes sortes de choses : le nombre de pénalités, l’auteur du dernier but, etc. Mieux encore, le pari peut être fait pendant la partie.

Bref, on peut plus facilement et plus dangereusement déraper avec ce truc au bout des doigts.

Oui, mais Loto-Québec ne fait-elle pas la même chose ?

Essentiellement, oui. Mais premièrement, ses revenus vont dans le Fonds consolidé du revenu du Québec, pas dans des paradis fiscaux à l’étranger.

Deuxièmement, étant une société d’État, elle est tenue à certaines normes d’honnêteté, de transparence et de surveillance. Il est possible de convoquer le PDG de Loto-Québec à l’Assemblée nationale. Bonne chance avec les sites brumeux de jeu en ligne…

Je n’essaie pas de prétendre qu’on peut ou qu’on doit interdire toute forme de jeu en ligne.

Je dis par contre que les équipes sportives, qui ont plongé à pieds joints dans cette industrie douteuse, ont des comptes à rendre. Les médias sont évidemment en danger permanent de conflit d’intérêts, vu l’apparition de cette manne inespérée dans un marché publicitaire qui rétrécit.

Mais ce n’est pas gênant un peu de faire autant la promotion du gambling au profit d’entreprises opaques ?

Il serait temps de traiter ce phénomène pour ce qu’il est : un enjeu de santé publique, éthique et juridique.

La cigarette n’est même pas illégale. On n’a pourtant pas le droit d’en faire la publicité.

Il y a de bonnes raisons de faire la même chose avec le jeu et le pari sportif.

1. Consultez un rapport de Santé publique France 2. Consultez une étude sur le jeu en ligne (en anglais)