Si l’on veut illustrer la différence entre la justice canadienne et la justice américaine, rien de mieux que les « peines minimales ».

Encore vendredi, la Cour suprême du Canada a invalidé la peine minimale automatique de quatre ans de pénitencier pour une personne qui décharge une arme à feu sur un domicile.

Pourquoi ? Parce que cette peine pourrait, dans certains cas, constituer une peine « cruelle et inusitée » – ce qui est contraire à l’article 12 de la Charte des droits, qui protège les citoyens contre de tels châtiments.

La Constitution américaine contient la même disposition. Mais les juges américains l’ont interprétée de manière beaucoup – beaucoup – plus restrictive. De longues peines d’emprisonnement pour trafic de petites quantités de stupéfiants, des emprisonnements à vie automatiques pour un troisième crime, etc.

Toute une série de peines exorbitantes ont été jugées valides aux États-Unis. La peine est « cruelle », mais pas « inusitée », ont même parfois écrit des juges américains. Tant qu’il ne s’agit pas d’une peine dégradante appliquée de manière arbitraire – il faut imaginer quelque chose s’approchant de la torture –, ça n’est pas une peine « cruelle et inusitée » aux États-Unis.

Le meilleur exemple est évidemment la peine de mort. Brièvement jugée invalide (1972-1976) pour cette raison, à cause de son application arbitraire et raciste, elle est jugée conforme à la Constitution depuis.

La Cour suprême canadienne, dans des affaires d’extradition, a clairement statué que cette peine est considérée ici comme cruelle et inusitée. Et dans toute une série de causes, les tribunaux ont signalé que la barre du « cruel et inusité » est beaucoup moins élevée au Canada.

Il n’est donc pas particulièrement étonnant de voir que, 15 ans après leur adoption par le gouvernement conservateur, la plupart des peines minimales insérées dans le Code criminel ont été jugées invalides.

En principe, les crimes n’entraînent pas une peine automatique. La loi prévoit uniquement un maximum. Et selon les circonstances du crime, selon le délinquant, on ajuste la peine. C’est pourquoi les peines varient.

Pour un même crime, untel peut écoper de sept ans, et l’autre, six mois. Ces variations sont explicables le plus souvent, mais elles donnent une allure un peu échevelée à l’art subtil d’infliger un châtiment à son prochain.

Plusieurs États américains ont donc adopté des « lignes directrices », qui instaurent des peines minimales, selon le type de crime. Pour telle quantité de drogue : entre quatre et huit ans. Pour telle autre : entre 15 et 20 ans, etc.

Les tribunaux américains ont donc beaucoup moins de marge de manœuvre. Mais à la fin, cette façon de faire a été validée.

Et les États-Unis sont le pays qui incarcère la plus grande proportion de sa population – six à sept fois plus qu’au Canada.

Ce qui nous mène aux jugements de notre Cour suprême, vendredi.

Dans un dossier, elle a jugé valide la peine minimale en cas de vol qualifié (cinq ans si c’est avec une arme prohibée, quatre ans avec une arme ordinaire).

Dans l’autre, elle a invalidé la peine minimale pour avoir tiré sur une maison (quatre ans).

La différence ? Le crime de vol qualifié est plus ciblé, disent les juges majoritaires. Il n’y a pas de « petit délinquant », en la matière. Le vol à main armée, même avec une arme non chargée ou une imitation d’arme, crée une situation très dangereuse, potentiellement mortelle.

Cinq ans de pénitencier, ça peut être sévère dans certains cas. Même « disproportionné ». Mais on ne peut pas imaginer un cas particulier où cinq ans serait « exagérément disproportionné ».

Car tel est le « test » pour déterminer si une peine est « cruelle et inusitée » au Canada : il faut qu’elle soit exagérément disproportionnée.

« Il convient de faire preuve de déférence à l’égard du Parlement lorsqu’il édicte des peines minimales obligatoires exemplaires dans les cas où la conduite, comme le vol à main armée, porte manifestement atteinte à nos valeurs les plus fondamentales », écrit la juge Sheila Martin, au nom de la Cour.

Mais alors, pourquoi, quand il s’agit d’un individu qui tire des coups de feu sur une maison, la Cour décide-t-elle que quatre ans minimum, c’est trop ?

Parce qu’on peut imaginer des cas hypothétiques où ce serait injuste. Par exemple, si un jeune en état d’ébriété tire un coup de fusil à plomb sur un mur de briques.

Je précise que ce n’était pas le cas devant la cour. C’est un cas imaginaire parmi d’autres avancés par un avocat.

Comme l’avait écrit un juge albertain, pense-t-on sérieusement qu’un procureur accuserait du même crime un jeune ayant tiré du fusil à air comprimé ?

Remarquez bien, je ne suis pas non plus un adepte des « sentences automatiques », qui sont excellentes pour le marketing politique, mais généralement nulles pour améliorer la sécurité publique. Je suis d’accord pour dire qu’une sanction « qui fait totalement abstraction de la réinsertion est incompatible avec la dignité humaine », comme le dit la Cour.

Un juge peut infliger bien plus que le minimum quand les circonstances le justifient.

Mais où tracer la ligne de l’indignité ?

Je trouve la ligne bien mince entre le hold-up où la peine minimale automatique est justifiée… et la décharge d’un fusil sur une maison, où une peine de quatre ans minimum est jugée inconstitutionnelle. (En passant, ce minimum avait déjà été aboli par le Parlement, l’automne dernier, avec plusieurs peines minimales votées sous les conservateurs.)

Donc, démarrer le compteur de la peine à cinq ans pour un hold-up, ça va. Mais le démarrer à quatre pour un type qui tire sur une maison, ça ne va pas, c’est « cruel et inusité ».

La nuance ici entre ce qui est « exagéré » et ce qui ne l’est pas est un peu trop subtile pour moi, je l’avoue. Un peu trop imaginaire.