Une petite révolution se prépare dans la métropole. Montréal vient d’annoncer la création d’un « Bureau de la ville intelligente ». Enfin !

Avec son budget de 10 millions de dollars, ce bureau pourrait aider à régler les problèmes de coordination des chantiers d’ici trois ans. Un projet pilote prometteur est déjà en cours dans les deux arrondissements les plus centraux.

Ces mots, je les écrivais dans un article… en 2014.

Tous ceux qui ont fréquenté le centre-ville depuis connaissent la suite : la grande réforme des chantiers a échoué.

Lamentablement.

Pire : la situation s’est dégradée au point que de nombreux automobilistes évitent désormais à tout prix de s’approcher du cœur de Montréal. Ils sont persuadés qu’ils se retrouveront coincés dans un dédale de cônes orange, aux allures de souricière, et ils n’ont pas tort.

Une étude dévoilée jeudi par la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM) met enfin des mots, des statistiques et des images claires sur ce bordel.

Consultez la page de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain consacrée à l’étude

Certaines données marquent les esprits, avec raison.

On apprend que 94 % des rues du centre-ville ont fait l’objet d’entraves totales ou partielles à un moment ou un autre dans la dernière année. Pas encore un score parfait, mais on n’est pas loin du compte !

On constate aussi, graphiques à l’appui, le séquençage psychédélique des travaux sur plusieurs grandes artères. Comme la rue Saint-Urbain, qui a été éventrée à neuf reprises, souvent aux mêmes endroits, entre 2014 et 2022.

On peut faire les choses intelligemment à Montréal. Ça s’est déjà vu il y a un quart de siècle, pendant la création du spectaculaire Quartier international, autour du square Victoria, où l’ordre des travaux a été planifié dans les règles de l’art. À la place des Festivals aussi.

Mais depuis quelques années, on sent une forme de lâcher-prise collectif par rapport à la gestion des chantiers.

Les constructeurs de condos empiètent sur la voie publique avec leurs équipements et leurs camions de livraison ? Pas grave ! Tant qu’ils ont payé leur permis d’occupation à la Ville, personne ne s’en soucie.

Des cônes orange et des panneaux de signalisation restent à l’abandon pendant des semaines après la fin d’un chantier ? Pourquoi pas ? Plus on est de fous, plus on rit !

Michel Leblanc, président de la CCMM, dénonce le « défaitisme » qui semble s’être emparé des autorités. Une abdication « dangereuse » pour la réputation et l’image de Montréal.

Je suis parfaitement d’accord avec lui.

Le Bureau de la ville intelligente lancé par Denis Coderre en 2014 n’a pas répondu aux attentes en matière de coordination des chantiers. Valérie Plante a aussi échoué, elle qui s’était présentée comme la « mairesse de la mobilité » au début de son premier mandat en 2017.

La situation reste déplorable et a fait l’objet d’une série de blâmes par la vérificatrice générale de la Ville, pas plus tard qu’en mai 2022.

Lisez l’article : « La vérificatrice générale fustige la mauvaise coordination des chantiers à Montréal »

L’administration Plante se défend en disant que la Ville ne génère que le tiers des chantiers, la plupart étant de nature privée, surtout dans la construction résidentielle.

Cela est vrai. Mais c’est la Ville qui délivre les permis, et elle les a accordés dans 96 % des cas l’an dernier.

Il en ressort une apparence de free for all nuisible non seulement aux automobilistes, mais aussi aux piétons et cyclistes, qui doivent contourner de nombreux obstacles sur les trottoirs et les pistes cyclables.

Que faire pour redresser la barre ?

Montréal compte organiser un grand « sommet sur les chantiers » au printemps prochain, auquel seront conviés les entrepreneurs privés et tous les organismes susceptibles d’ouvrir des rues. La plupart des problèmes de coordination cités par la CCMM y seront abordés, m’a-t-on souligné jeudi au cabinet de Valérie Plante.

Il ne sera pas trop tôt. C’est déjà très tard, en fait.

La Ville est aussi en train de peaufiner les bases de son prochain plan d’urbanisme, qui devrait être prêt en 2024. Il fera plus de place aux piétons et aux espaces verts. Et moins aux véhicules motorisés, du même coup.

Ces objectifs écologiques sont louables, et l’administration Plante a été élue en promettant de les atteindre. Mais les voitures ne se dématérialiseront pas par magie d’ici à ce que tous ces aménagements soient mis en place, ce qui pourrait prendre 10 ans. Les taxis, les autobus et les camions de livraison devront continuer à circuler.

Il ne faut pas perdre de vue que la multiplication des chantiers est en fait une belle et grande nouvelle. Les investissements privés sont élevés. Les infrastructures publiques longtemps négligées sont remises à niveau. Montréal rénove ses entrailles et grimpe vers le ciel.

Mais le cœur de la métropole aura d’importantes épreuves à affronter ces prochaines années, avec la désertion de ses tours de bureaux. Il serait dommage que la gestion déficiente des chantiers vienne ajouter une couche de difficulté supplémentaire à sa relance.