Sur son tableau de bord, Christian Dubé voit beaucoup de rouge, et ce n’est pas une métaphore.

Le ministre de la Santé a créé un tableau pour surveiller le réseau et ce qu’il aperçoit doit l’inquiéter.

Des dizaines d’indicateurs portent sur les urgences, les soins en première ligne, les ressources humaines, les interventions chirurgicales et les activités hospitalières. Parmi eux, il y a des aspects positifs, comme le nouveau Guichet d’accès à la première ligne. Mais dans l’ensemble, le portrait n’est pas enthousiasmant. Le rouge (recul) est plus présent que le vert (amélioration).

Quelques exemples : hausse de l’attente depuis l’automne pour une opération, hausse du délai pour la prise en charge au triage, hausse de la durée moyenne du séjour ambulatoire, baisse des employés dans le réseau depuis l’hiver dernier et hausse du recours aux agences privées de placement depuis 2021.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Le ministre de la Santé, Christian Dubé, de passage mardi à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont

Pour l’instant, M. Dubé jouit d’un fort capital de sympathie. Selon un sondage Léger publié en décembre, 59 % des Québécois auraient une bonne opinion de lui, contre seulement 20 % qui le verraient défavorablement. C’est le meilleur ratio de tous les élus.

Le ministre a déposé en mai dernier un plan qui reprend les grands consensus établis par les experts. Les caquistes répètent que les Québécois seraient « chanceux » de l’avoir comme ministre, mais si on questionne les patients qui poireautent aux urgences et les soignantes au bord de l’épuisement, le mot « merci » n’est peut-être pas le premier qui leur viendra en tête.

Dans sa réforme, M. Dubé propose de rétablir « l’imputabilité » dans le système de santé. Il veut décentraliser le réseau, notamment en créant une Agence de la santé. Le ministre fournirait les orientations aux PDG des établissements, qui seraient ensuite responsables de les appliquer. Ils seraient incités à devenir plus efficaces grâce à un financement basé sur les résultats et à des données qui déterminent les meilleures pratiques à adopter.

Voilà pour la théorie.

M. Dubé ne veut pas passer son temps à éteindre les feux, et cela se comprend. Quand des urgences débordent comme celles de Maisonneuve-Rosemont, les gestionnaires locaux doivent eux aussi rendre des comptes. La suppression de postes de cadres intermédiaires n’a pas aidé non plus – depuis, les décisions se prennent plus loin du plancher, par des gens qui parfois ne connaissent même pas les soignantes qu’ils forcent à faire du « temps supplémentaire obligatoire ».

Reste que si l’attente perdure aux urgences, si l’accès à un médecin de famille demeure pénible, si les pénuries de main-d’œuvre ne se résorbent pas, le ministre aussi doit s’expliquer. Car c’est à ce portrait d’ensemble qu’on évaluera son travail.

Son plan est encore jeune. M. Dubé se donne comme « horizon » 2025 pour que les changements se concrétisent dans l’ensemble. Mais il ne contrôle pas la patience des Québécois, qui pourrait être plus courte que prévu.

À l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, l’élastique a déjà cassé.

Cet établissement reçoit un gros volume de patients par rapport à sa capacité et il ne peut pas fermer. Une gestionnaire y était aussi contestée – elle a été réaffectée ailleurs. Et le syndicat et la direction n’ont pas réussi à s’entendre pour l’autogestion de leurs horaires.

Même si le cas est particulier, les crises à Jonquière, dans le West Island et ailleurs montrent que les exceptions sont nombreuses. Et même si le personnel soignant renégocie sa convention collective, cela ne suffit pas à expliquer les sit-in d’infirmières épuisées.

On relit le plan de M. Dubé en se demandant ce qu’il réussira à changer.

Par exemple, jusqu’où ira-t-il avec les agences privées ? Le ministre est ouvert à légiférer – on devine qu’il réduira leur emploi sans l’interdire, dans une approche adaptée aux besoins des régions.

Il y a aussi les ratios de patients par infirmière. D’un côté, il est inutile de resserrer les ratios s’il manque de personnel. De l’autre, sans ces ratios, des infirmières bouderont les postes affichés. Tout comme l’autogestion des horaires, cela devra se régler dans les conventions collectives, en sortant le chéquier.

Enfin, M. Dubé s’assurera-t-il de bien mesurer le temps supplémentaire obligatoire pour inclure les épisodes où on met de la pression financière sur une infirmière pour qu’elle accepte de prolonger sa journée ?

Plus la réponse tarde, plus la confiance envers M. Dubé s’assimilera à un acte de foi.

En octobre, la Fédération des médecins spécialistes lançait un signal d’alarme. « En 30 ans de pratique, je n’ai jamais vu le réseau aussi mal en point », déclarait alors son président, le DVincent Oliva. Plus de 30 présidents d’associations médicales affiliées appuyaient sa sortie.

La crise existait avant M. Dubé. Il ne l’a pas créée, et il ne la réglera pas non plus en quelques mois. Mais le danger pour lui est que ce réalisme finisse par ressembler un peu trop au fatalisme habituel.

Car si la situation le dépasse à ce point, pourquoi ferait-il mieux que les autres ? Il faudra que la couleur change sur son tableau de bord.