Avril 2010. C’est le printemps Halak. Le Canadien affronte les Capitals de Washington et Alex Ovechkin, dans le premier tour des séries. Avant la tenue du sixième match, au Centre Bell, le très fiable défenseur Jaroslav Spacek se blesse. Pour le remplacer, on fait appel à un joueur des Bulldogs d’Hamilton, P. K. Subban. C’est le début d’une histoire d’amour. Énergique, solide, rapide, P. K. Subban ne fait pas de miracles, c’est Halak qui les fait, mais P. K. en fait assez pour gagner sa place dans le club et dans le fan club.

On s’attache instantanément à cette recrue confiante, souriante, qui se garroche partout sur la patinoire.

Le CH élimine Washington, puis les champions en titre, Pittsburgh, avant de déposer les armes devant Philadelphie. Le printemps Halak se fane avant les lilas, et le gardien miraculeux est échangé durant l’été. Les saisons Subban, elles, ne font que commencer.

De 2010 à 2016, il sera, avec son ami Price, la principale attraction du Tricolore. Flamboyant tant en uniforme qu’en habit mauve. Capable de tout. De scorer, de plaquer, de se battre, d’être le meilleur défenseur du circuit, les bons soirs. Et de gaffer, en voulant trop en faire, les mauvais soirs. Avec panache dans tous les cas. Que Subban fasse le meilleur ou le pire, ça se voit. Ça paraît ! Durant ces six années, le CH est une équipe ordinaire. Mais au moins, on a un joueur qui ne l’est pas. Mais alors là, pas du tout.

Et pour la première fois depuis longtemps, on a un joueur qui joue pour nous. Avant de jouer pour son coach, pour ses patrons, pour ses coéquipiers, même, Subban joue pour ses fans. Il a compris ce que les joueurs de basket, de football, de baseball ont compris, bien avant les joueurs de hockey : le grand boss, c’est le public. Tout le pouvoir des sportifs, tout son rapport de forces vient de la ferveur entretenue par les fans.

Le lien de Subban avec les partisans dépasse le lien créé par tous ses coéquipiers et ses dirigeants. Parce que Subban vient vers nous. Il est présent. Il n’est pas juste un casque avec un numéro dans le dos qui se cache, entre deux matchs.

Il charme les médias, participe aux émissions populaires, se mêle aux partisans, vit la ville, s’implique dans la société, vient en aide aux enfants et va même jusqu’à dire quelques mots en français. Oh là là ! Politesse élémentaire de toute personnalité publique, sachant qu’elle doit son salaire aux acheteurs de billets, de produits dérivés et de services des commanditaires. Bref, le 76 s’intéresse au monde dans les gradins, chose rarissime pour un joueur du Canadien. Surtout à cette époque. Avec lui, le monde se sent important. Alors, il est important pour le monde. Peut-être trop pour certains.

Faut dire que Subban prend de la place. Pas juste dans nos cœurs. Partout. Dans le vestiaire. Dans la lumière. Dans l’équipe. Une équipe qui manque dramatiquement de leaders rassembleurs qui auraient pu calmer les ardeurs de P. K., comme l’aurait fait un Sidney Crosby ou un Patrice Bergeron. C’est pour trouver un capitaine à son navire que Bergevin échange Subban pour Weber.

Énorme peine d’amour. Il nous faudra du temps pour pardonner ce geste. Cinq ans, le temps de se rendre en finale de la Coupe Stanley.

Au moins, P. K. n’aura pas trop tourné le bâton dans la plaie. Ses plus belles années, c’est avec nous qu’il les a connues. On a fini par finir de penser à lui. Surtout depuis que le p’tit Caufield nous fait enfin rêver.

La retraite consommée, voilà que l’organisation du Canadien a l’idée de lui rendre hommage. De reconnaître, enfin, cette aura qu’on lui a tant reprochée.

Jeudi soir, avant le match contre la ville où on l’avait exilé, on a d’abord montré une vidéo de ses exploits sur la glace et sur la terre, puis, pour rendre hommage à P. K., on n’a trouvé personne de mieux que P. K. La star arrive dans son pardessus à carreaux, accompagnée d’une jeune patiente de l’Hôpital de Montréal pour enfants.

Plutôt que quelqu’un vienne raconter le lien unique qui unit Subban et les Québécois, comme je viens de le faire, P. K. le porte, à bout de bras, ce lien, comme on porte la Coupe Stanley. Bien joué. Sa Coupe à lui, c’est le micro qu’il a dans les mains. Ce micro qu’il manie au moins aussi bien que le bâton. Ce micro qui lui permet de rassembler les gens, de les faire se sentir importants. Encore une fois.

Revoir P. K., c’est revoir un amoureux qu’on croyait avoir oublié et qui, par sa seule présence, ranime les sentiments qu’on éprouvait pour lui. On retombe en amour, aussi fort que dans le temps. On ne se rappelle plus ses défauts, ses revirements, son ego. Soudain, il n’y a personne de plus beau.

Le message de P. K. était noble. Il a dit aux joueurs du Canadien que s’ils donnaient tout ce qu’ils ont sur la glace, le public allait leur donner tout ce qu’il faut pour être heureux en jouant au hockey : l’amour.

Quel orateur ! Obama n’aurait pas mieux dit.

Et il a terminé, en lançant à la foule, en français : Merci pour la belle vie !

Oui, les joueurs du CH ont une belle vie, et c’est grâce au monde qui les applaudit. J’espère qu’ils l’ont compris.

Merci, P. K.

Ce que tu as fait, sur un bout de tapis posé sur la glace, jeudi, était aussi grand que ce but contre Boston, en deuxième période supplémentaire, le 1er mai 2014.

Tu as scoré. Tu as fait de nous des gagnants.

Ça valait bien un triple low five avec Carey.