On vient de voir jusqu’où va la foi de François Legault à l’endroit de son superministre Pierre Fitzgibbon : accepter qu’il contribue au départ de Sophie Brochu d’Hydro-Québec.

Pourtant, le premier ministre appréciait la PDG. C’est lui qui l’a nommée, et il en était fier. Ex-patronne d’Énergir, elle était compétente et respectée. En plus, c’était la première femme à diriger la société d’État.

Pourquoi a-t-elle démissionné ? Elle seule a la réponse complète. Mais après avoir menacé de partir l’automne dernier à cause des tensions avec M. Fitzgibbon, il est difficile de croire qu’elle a tout simplement voulu relever d’autres défis dans la sérénité et l’enthousiasme. Y a-t-il tant de missions plus importantes pour l’avenir du Québec que sa transition énergétique ?

Malgré les craintes de Mme Brochu, le premier ministre a fait de M. Fitzgibbon un superministre à la fois de l’Économie et de l’Énergie, responsable d’Hydro-Québec.

M. Legault a essayé de rebâtir les ponts. Il a créé un inhabituel comité sur l’économie et la transition énergétique – il le présidait et M. Fitzgibbon y siégeait avec trois collègues, en compagnie de Mme Brochu. Je ne me souviens pas d’un seul autre comité interministériel auquel participait un dirigeant de société d’État.

Des gestes concrets ont suivi. Québec a déposé un projet de loi qui permettrait à Hydro-Québec de refuser des clients industriels. Un décret a aussi été adopté pour mettre fin à la croissance des cryptomonnaies, un secteur énergivore sans retombées significatives. Enfin, la société d’État aura plus de latitude pour lancer ses appels d’offres en éolien.

Mais à la fin, le conflit demeurait. Il était plus idéologique que personnel.

D’un côté, Mme Brochu avait esquissé sa vision dans son plan stratégique. Le Québec serait en déficit d’énergie à partir de 2027. Il devrait donc hausser sa capacité de production de 50 %, avec pour objectif principal d’électrifier l’économie actuelle du Québec. Elle voulait également renforcer l’efficacité énergétique pour économiser l’équivalent de l’apport annuel du complexe de la Romaine.

De leur côté, MM. Legault et Fitzgibbon agissent par opportunisme économique. Notre hydroélectricité leur sert d’argument pour attirer des investissements et rattraper le retard de notre PIB par rapport à celui de l’Ontario, leur vieille obsession.

Ils veulent ainsi augmenter le nombre de grands consommateurs alors que l’énergie manquera. Et ils utilisent Hydro-Québec pour subventionner indirectement les entreprises avec de bas tarifs qui encouragent le gaspillage d’énergie.

Jusqu’où aller dans cette direction ? Difficile à dire. Cette approche ne s’intègre pas dans un plan clairement articulé. Comme le soulignent des experts comme Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal, il n’y a pas encore de plan intégré qui précise ce que le Québec veut produire et consommer, avec des chiffres et un échéancier.

C’est dans ce flou artistique que M. Fitzgibbon opère avec la confiance aveugle du premier ministre.

Et M. Legault lui-même ne devait pas toujours être facile à suivre pour Hydro-Québec. Par exemple, le chef caquiste a lancé l’idée de construire de nouvelles centrales hydroélectriques lors de la dernière campagne électorale. La société d’État ne s’y opposait pas, mais on sentait qu’à ses yeux, l’intention était prématurée. Une véritable analyse d’expert aurait dû la précéder.

Après avoir déposé son plan, Mme Brochu devait le mettre en application. Une mission cruciale pour l’avenir du Québec et une rare occasion de laisser sa marque.

Mais de toute évidence, Mme Brochu ne jugeait pas que les conditions étaient réunies pour bien faire le travail. Sa vision se butait aux ambitions d’un puissant ministre qui n’a jamais arrêté d’avoir la confiance totale de son patron.

Le mandat de M. Fitzgibbon n’est pas en soi un problème. L’Allemagne et le Royaume-Uni ont aussi un superministre responsable à la fois de l’environnement et de l’économie. Mais ils doivent rendre des comptes à un organisme indépendant qui peut vérifier l’atteinte des cibles de réduction des émissions de gaz à effet de serre, mener des études et proposer des correctifs. Au Québec, c’est le contraire. Le gouvernement caquiste a aboli le conseil indépendant de gestion du Fonds vert.

Comme M. Legault, M. Fitzgibbon a cheminé. Il a participé à la COP27 en Égypte. Il parle désormais de sobriété énergétique et il prépare un projet de loi qui devrait permettre entre autres de subventionner les technologies efficaces comme la géothermie et les thermopompes.

Il est aussi normal que la société d’État harmonise sa vision avec celle de son actionnaire. Québec peut par exemple avoir un regard critique sur le projet d’intégrer les divisions de production, de transport et de distribution en une seule entité, ce qui pourrait rendre les appels d’offres moins transparents et attractifs pour l’éolien privé.

Mais l’énergie est compliquée, et remplacer Mme Brochu sera difficile.

Il serait désolant que M. Legault choisisse un gestionnaire du privé sans expérience dans ce secteur. La moindre des choses serait de nommer à la tête d’Hydro-Québec une personne avec une vision claire. Si cela l’intéresse, bien sûr.