L’année de Justin Trudeau démarre avec quelques lumières jaunes au tableau.

Deux chiffres devraient le préoccuper. Ils révèlent une vague de mécontentement qui monte lentement et ils commencent à jeter une ombre sur lui.

Le premier indicateur porte sur l’humeur générale des Canadiens. Ceux qui croient que le pays va dans la mauvaise direction sont désormais plus nombreux que les optimistes. C’est ce que montre un nouveau sondage Nanos commandé par le Globe and Mail. L’écart est de 3 %, soit la marge d’erreur. N’empêche que c’est la première fois depuis l’arrivée au pouvoir de M. Trudeau en 2015 que les pessimistes semblent les plus nombreux.

La dernière fois que l’humeur populaire était aussi maussade ? En 2013 et en 2014, lors de la fin de règne de Stephen Harper.

Fait étonnant, c’est au Québec que les sondés étaient les plus positifs.

L’autre mauvaise nouvelle porte sur la satisfaction à l’endroit du gouvernement Trudeau. Selon Nanos, 41 % des Canadiens jugeraient le bilan négatif (13 % « plutôt mauvais » et 28 % « très mauvais »). Là encore, c’est le pire résultat de M. Trudeau depuis 2015. Et le pire depuis la fin du dernier mandat de M. Harper.

D’autres parallèles frappent. Cette année, M. Trudeau célébrera son 10e anniversaire comme chef libéral, et sa huitième année comme premier ministre. C’est là aussi qu’en était rendu M. Harper en fin de règne, a rappelé M. Nanos au quotidien torontois.

Autre source d’inquiétude pour M. Trudeau, le Nouveau Parti démocratique (NPD) est en modeste ascension. En 2019 et en 2021, le chef libéral a profité de la faiblesse des troupes de Jagmeet Singh, qui avaient récolté seulement 16 % et 18 % des votes. La formation de gauche reçoit maintenant environ 25 % des intentions de vote. Même si les tiers partis tendent à perdre des appuis aux élections à cause du vote stratégique, ce regain du NPD reste une menace pour les libéraux. Le pire scénario pour eux serait une division du vote progressiste, s’ils plafonnent à 30 % d’appuis et si les néo-démocrates percent le mur du 20 %.

C’est grâce à ce morcellement que M. Harper avait gagné son seul mandat majoritaire en 2011. Le contexte était très différent – les libéraux étaient au tapis depuis des années à cause du scandale des commandites et leur chef inexpérimenté et maladroit, Michael Ignatieff, ne faisait pas le poids face au charismatique leader néo-démocrate en Jack Layton. N’empêche que pour M. Trudeau, cela n’augure rien de particulièrement formidable.

Cela dit, pour les libéraux, il est encore tôt pour paniquer. Rien n’est joué.

M. Trudeau s’est acheté du temps. Grâce à son entente avec les néo-démocrates, son gouvernement minoritaire devrait survivre jusqu’en 2025.

Et de toute façon, quelques mois après le scrutin au Québec et en Ontario, et à la veille de celui à venir ce printemps en Alberta, l’appétit populaire pour une nouvelle campagne électorale est très faible.

M. Trudeau a un autre atout. La stratégie de M. Singh consiste à exagérer la différence entre les libéraux et lui. Mais en même temps, il s’attribue les mérites de politiques comme l’assurance dentaire. Ces deux positions se contredisent – le gouvernement libéral ne peut pas être en même temps décevant et inspiré par lui…

Enfin, l’autre consolation de M. Trudeau, c’est l’absence de toute forme de Poilievremanie.

Le nouveau chef conservateur est un redoutable débatteur, mais il est aussi polarisant. Son plafond de votes est plus bas que celui de M. Trudeau. Ses partisans sont convaincus, mais ses possibilités de gains auprès des indécis sont plus limitées. Davantage de sondés seraient prêts à considérer de voter pour les libéraux (45 %) que pour les conservateurs (42 %), et M. Trudeau est jugé meilleur premier ministre que ne le serait M. Poilievre – l’écart est de quatre points de pourcentage.

Bref, rien n’est joué. C’est ce que confirment également les plus récentes projections de sièges du site Canada338. Les libéraux et les conservateurs sont à égalité statistique.

La seule tendance lourde, si rien ne change : l’élection d’un gouvernement minoritaire, encore une fois. C’est le règne des insatisfaits.

Quant au Bloc québécois, il est bien en selle. Les variations sont trop faibles pour justifier des interprétations. Disons seulement que M. Poilievre a renoncé au flirt de son prédécesseur avec le Québec, ce qui ne nuira pas au Bloc.

C’est cette aiguille obstinément coincée au milieu que les partis essaieront de faire bouger cet hiver.

Pour Justin Trudeau, le retour en Chambre devra se faire en réglant notamment le problème qu’il s’est lui-même créé en ajoutant à la liste d’armes prohibées des modèles parfois utilisés pour la chasse. Autres dossiers délicats : les projets de loi C-11 et C-12 sur le financement des médias et de la culture canadienne et francophone. Le nouveau livre de Bill Morneau n’aidera pas non plus. Pour rebrasser les cartes, M. Trudeau pourrait être tenté de faire un ajustement ministériel en ce début d’hiver. Chose certaine, il ne peut pas se laisser porter sur son élan, car il ne le pousse pas dans la bonne direction.