Guillaume Dulude est cet aventurier à la vie très intéressante qui parle neuf langues en plus d’avoir un doctorat en neuropsychologie et en psychologie. Je cite mon collègue Alexandre Pratt, qui en faisait le portrait en mai 20201 : « Il tire à l’arc, pêche avec ses mains, chasse avec un aigle. Il peut extraire du miel d’un arbre, construire une yourte et jouer au polo avec une chèvre… »

M. Dulude pourrait ajouter une autre ligne à son CV : Colossal talent pour dire des conneries avec un air très sérieux.

Il était donc récemment à l’émission de Marie-Claude Barrette à TVA, en direct de l’Afrique du Sud, pour sa chronique, « L’homme dans tous ses états ». Une chronique sur les hommes ? Pourquoi pas ! C’est vrai que les hommes vont mal.

Mais c’est quand M. Dulude a ouvert la bouche que ça s’est gâté, quand l’animatrice lui a demandé ce qu’il pensait du mot « féminicide ».

Je le cite de façon exhaustive :

« Les mots sont très importants pour comprendre toute la notion d’activisme et de lobby. Féminicide, ça s’apparente beaucoup à génocide. OK, un génocide, juste pour le rappeler, pour tout le monde, ce que c’est : c’est un groupe qui s’organise pour anéantir et exterminer un autre groupe. C’est une planification d’extermination. Alors on utilise “féminicide”, comme si les hommes se regroupent entre eux et font une planification similaire, c’est-à-dire l’extermination des femmes. Suggérer ça, c’est-à-dire l’utilisation de ce mot-là, c’est extrêmement grave, et c’est maintenant vu comme quelque chose de banal et de normal. C’est un terme qu’on ne devrait pas employer parce que c’est faux : il n’y a pas d’organisation des hommes qui vise à exterminer les femmes, c’est très grave, faire cette prétention-là… »

Ouf, par où commencer ?

Je commence par ouvrir un dictionnaire, disons le Larousse, pour chercher la définition de féminicide : « Meurtre d’une femme ou d’une jeune fille, en raison de son appartenance au sexe féminin. Crime sexiste, le féminicide n’est pas reconnu en tant que tel par le Code pénal français. »

Le Petit Robert : « Meurtre d’une femme, d’une fille en raison de son sexe. »

Le Grand dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française : « Fait pour une personne de causer la mort d’une femme ou d’une fille en raison de sa condition. »

Allons maintenant voir dans le Merriam-Webster, grand dictionnaire anglais : « The gender-based murder of a woman or girl by a man », avec cette citation de l’ONG Africa Check : « Il y a eu des appels à la grève nationale pour protester contre les féminicides en Afrique du Sud… »

Je précise qu’en Afrique du Sud, pays que M. Dulude semble apprécier particulièrement, le féminicide est un problème criant : une femme y est tuée toutes les quatre heures2.

Malheureusement, je n’ai pas fait latin au collège classique, mais heureusement, Google est là pour décortiquer l’origine du mot « féminicide » : la racine latine femina désigne bien sûr « femme », et le suffixe -cide signifie « frapper, tuer ».

Alors, oui, je suis d’accord avec M. Dulude : les mots sont très importants. C’est pour cela qu’il faut nommer les choses avec précision, quand une telle chose est possible.

Le meurtre d’une femme parce qu’elle est une femme : un féminicide. Une femme qui se fait tuer par une balle perdue dans un braquage qui vire mal : pas un féminicide.

Une femme qui se fait tuer par son ex-mari qu’elle a décidé de quitter : féminicide. Si elle n’avait pas été une femme : elle ne serait pas morte.

Féminicide aurait été employé la première fois au XIXe siècle, repris en 1976 par une sociologue (sud-africaine !) et c’est en 1992 que le terme est pour ainsi dire consacré, dans le titre d’un livre : Feminicide : The Politics of Killing Women3.

Les mots sont importants. Ce qui s’est passé aux États-Unis de 1861 à 1865, c’était une guerre civile, pas un génocide. Et ce qui s’est passé au Rwanda en 1994, l’extermination d’un groupe (les Tutsis) par un autre (les Hutus), était un génocide. Dans les deux cas, l’horreur à grande échelle, bien sûr. Mais dire que ce qui s’est passé au Rwanda était une guerre civile serait incomplet, ça ferait abstraction d’un fait capital : les Tutsis ont été massacrés en raison de leur appartenance à un groupe ethnique particulier.

Génocide a été employé une première fois en 1944, par un avocat polonais4. Un peu de latin et de grec, ici : genos, du grec « race » ou « tribu », et – encore – le suffixe latin -cide. L’avocat faisait alors référence à l’industrialisation du massacre des Juifs par les nazis, qui appelait un terme à part entière.

Donc, juste sur l’étymologie, Guillaume Dulude est dans le champ. Sur les lobbies et l’activisme, il a à moitié raison (ou tort) : oui, des lobbies et des personnes insistent parfois pour imposer des mots ou des expressions… 

Mais « féminicide » est étymologiquement et contextuellement juste.

Jusqu’ici, on pourrait se dire : bah, Guillaume Dulude parle à travers son chapeau, erreur de fait, c’est pas le premier…

Sauf qu’il disjoncte carrément quand il invente aux mots « génocide » et « féminicide » un cousinage qui va au-delà du suffixe -cide. Je cite encore M. Dulude : « On utilise “féminicide” comme si les hommes se regroupent entre eux et font une planification similaire, c’est-à-dire l’extermination des femmes… »

Ben non, ben non… 

Personne de sensé ne pense ça, que « les » hommes organisent « le » féminicide des femmes, comme les nazis avec les Juifs ; comme les Hutus avec les Tutsis. Le proverbial « on » évoqué par M. Dulude a le dos large ici…

Je note aussi que Guillaume Dulude a aussi déclaré ceci, au sujet de la gravité du terme « féminicide » sur l’humeur des hommes : « Ça donne le ton de la pression constante, de comment on pointe du doigt les hommes en ce moment, pis on est surpris de comment les hommes aillent pas très bien, pis que les relations hommes-femmes vont pas très bien non plus… »

Bon, je ne détiens aucun doctorat, mais je soumets humblement que les féminicides sont le symptôme du mal-être masculin. Et pas une cause de ce mal-être.

Je ne veux prêter aucune intention à Guillaume Dulude. Mais je comprends mal ce chipotage sur un mot qui, étymologiquement et dans le contexte, est parfaitement adéquat. Il s’est expliqué dans une vidéo sur YouTube en ciblant « les médias », sans plus de précision. Vous pouvez la regarder ici5. J’ai pensé à un autre verbe, en le regardant : s’enfoncer

Je constate par ailleurs que M. Dulude connaît le poids des mots : il dit, par exemple, qu’il est titulaire d’un doctorat en neuropsychologie et en psychologie clinique, c’est même la première ligne de son site web6, en caractères gras. Ce qui est rigoureusement exact, car il n’est pas psychologue ou neuropsychologue. S’il se disait psychologue ou neuropsychologue, il se mettrait dans le pétrin avec l’Ordre des psychologues.

Donc il cite son diplôme…

Ce qui prouve que Guillaume Dulude peut bien peser et soupeser les mots qu’il choisit.

Il devrait faire la même chose quand il intervient publiquement sur le sens des autres mots.

1. Lisez l’article « L’homme le plus intéressant du Québec » 2. Lisez l’article « ‘Our bodies are crime scenes’ : South Africa’s murdered women » 3. Consultez le texte « Qu’est-ce qu’un féminicide : définition et origines » 4. Consultez le site des Nations unies sur le génocide 5. Visionnez la vidéo YouTube de Guillaume Dulude au sujet des relations homme-femme 6. Consultez le site web de Guillaume Dulude