Le réseau de la santé craquait de partout, le 1er décembre, quand le ministre Christian Dubé a lancé un appel désespéré aux infirmières retraitées du Québec : s’il vous plaît, venez prêter main-forte. Avec les urgences qui débordent, on ne fournit pas. Il nous faut 5000 infirmières pour désengorger les appels au 811.

Le hasard a voulu que le même jour, une infirmière du CHSLD Chevalier-De Lévis, à Longueuil, reçoive une lettre de son employeur, le CISSS de la Montérégie-Est. C’était un avis disciplinaire.

L’acte reproché à la gredine était détaillé dans toute sa crapulerie au deuxième paragraphe : « Le 2 octobre dernier, vers 9 h 30, vous vous êtes préparé une toast avec du beurre d’arachide et vous l’avez mangée. »

Pour ce méfait, que dis-je, ce crime gravissime, l’infirmière se voyait imposer une suspension sans solde de trois jours.

Cette histoire dévoilée vendredi par Le Journal de Montréal a provoqué… l’incrédulité.

Ça semblait impossible, tant la sanction était démesurée. C’était absurde. Quelque chose devait nous échapper. Il nous manquait du contexte. Sûrement qu’on ne savait pas tout…

Même le ministre Dubé était sceptique, lundi matin. « C’est tellement gros comme décision que je ne la comprends pas », a-t-il avoué au micro de Paul Arcand, au 98,5 FM. Prudent, le ministre a réservé ses commentaires, dans l’attente des explications du CISSS.

Vérification faite… il ne nous manquait pas de contexte. Pas la moindre nuance qui aurait pu nous faire mieux comprendre la décision des gestionnaires. Cette histoire était seulement absurde. Complètement absurde.

Il aura tout de même fallu que les médias s’en mêlent pour faire reculer ces bureaucrates. Lundi, la ministre déléguée à la Santé et aux Aînés, Sonia Bélanger, a demandé des explications au PDG du CISSS, Bruno Petrucci. En fin d’après-midi, la sanction a été annulée et l’infirmière a reçu des excuses.

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Mais revenons au fameux contexte. Il est décrit dans la lettre de suspension du 1er décembre. Ce matin-là, l’infirmière n’avait pas eu le temps de déjeuner. Elle avait faim, au point d’avoir mal à l’estomac. Alors, elle s’est fait une toast au beurre d’arachide, sans savoir que c’était interdit.

C’est tout. Enfin, ça aurait dû l’être.

« Nous concluons donc que c’est sans droit que vous vous êtes approprié un bien de l’établissement à l’intention des résidents », lit-on dans la délirante lettre de suspension. « Ce geste constitue du vol […]. Il s’agit d’un manquement grave à vos obligations de loyauté et d’honnêteté. »

En cas de récidive, lit-on encore, « nous n’aurons d’autres choix que de prendre des mesures plus sévères pouvant aller jusqu’au congédiement ».

Et ça continue comme ça sur deux pages. Des phrases préfabriquées, tout droit sorties du parfait manuel des technocrates, du genre : « Vos manquements ont des conséquences négatives importantes tant sur la réputation de l’établissement que sur votre crédibilité professionnelle. »

Ternir la réputation de l’établissement ? Avec le recul, on constate à quel point cette remontrance s’applique moins à l’infirmière qu’à ceux qui l’ont scribouillée…

« Les gestionnaires impliqués seront rencontrés », nous promet-on au cabinet de la ministre Bélanger. Gageons qu’ils s’en tireront avec une tape sur les doigts. Après tout, ils n’ont fait qu’appliquer les règles à la lettre, comme l’aurait fait n’importe quel technocrate. Sans se préoccuper une seconde du contexte, tout bête, tout simple : une employée qui n’avait pas eu le temps de déjeuner.

Ces gestionnaires n’ont pas pris la peine de se préoccuper, non plus, du contexte plus large : un réseau de la santé qui menace une fois de plus de s’effondrer. Un manque de personnel criant.

Des personnes âgées terrorisées à l’idée d’aller vivre en CHSLD. Des établissements mis sous tutelle pour cause de négligence envers les résidants. Des infirmières épuisées, forcées de faire du temps supplémentaire obligatoire, qui abandonnent ou qui passent au secteur privé. Un gouvernement qui fait des pieds et des mains pour les garder dans le réseau.

Qu’on le veuille ou non, c’est ça, le contexte général.

Le ministre Christian Dubé n’aime pas qu’on peigne un tableau aussi sombre du réseau qu’il a promis de transformer, pour le mieux évidemment. « C’est en misant sur nos succès et ce qui va bien que nous allons y arriver, a-t-il écrit sur Facebook, dimanche. Ce n’est pas en faisant ressortir ce qui ne va pas que nous allons rendre notre réseau attrayant. »

D’accord. On peut bien faire un effort et parler aussi des bons coups. Il faudrait juste que le réseau nous aide un peu.

Ce texte a été modifié afin de préciser que la ministre Sonia Bélanger a demandé des explications au PDG du CISSS, Bruno Petrucci. Une version antérieure indiquait erronément qu’une rencontre a eu lieu entre les deux.