Ça fait dix ans que je le dis, que je le crie : la SQ n’a pas fait sa job, le 4 septembre 2012, au Métropolis, quand Pauline Marois prononçait son discours de victoire1.

Ce n’est pas normal qu’un type en robe de chambre ait pu garer sa voiture derrière le Métropolis ce soir-là, en descendre avec une arme longue à la main, s’approcher de l’édifice, tirer sur des techniciens de scène et allumer un incendie près de la porte arrière… SANS JAMAIS ÊTRE INTERCEPTÉ PAR UN POLICIER.

C’est pourtant ce qui est arrivé, avec des conséquences tragiques pour Denis Blanchette (tué), Dave Courage (blessé gravement) et tant d’autres personnes (traumatisées).

Mais dans la plus pure tradition d’opacité du gouvernement du Québec, les raisons de ce fiasco sont bien évidemment restées secrètes. Chut, on ne fait pas de vagues. L’État a simplement permis à la SQ d’enquêter… sur elle-même.

Et le rapport, bien sûr, est resté dans le coffre-fort de la Sûreté du Québec, ultrasecret. Au nom de la protection… des mesures de sécurité déployées par la SQ pour protéger les dignitaires (lire les derniers mots en imaginant des rires en canne de Symphorien).

C’est stupéfiant : un tireur en robe de chambre venait de commettre un attentat politique, semant la mort et le sang, il voulait assassiner la PM désignée pour délit de souverainisme, le carnage aurait pu être encore plus grand, n’eût été l’enrayement providentiel de son arme…

Mais l’État n’a jamais enquêté sur ce fiasco de la SQ !

Pas de commission parlementaire, pas de commission d’enquête publique, rien. L’attentat n’a fait l’objet d’aucun examen des faits, d’aucune autocritique. Jamais l’État québécois n’a cherché à savoir comment sa police (très) provinciale a pu merder à ce point, ne serait-ce que pour forcer la SQ à revoir ses pratiques.

Il aura fallu que des employés du Métropolis traumatisés par l’attaque du tireur fou – Guillaume Parisien, Audrey Dulong-Bérubé, Jonathan Dubé et Gaël Ghiringhelli – décident de poursuivre au civil le gouvernement du Québec (SQ) et la Ville de Montréal (SPVM) pour que les tourments qui pourrissent leur vie depuis le 4 septembre 2012 soient reconnus et dédommagés. Ils ont eu gain de cause, dans une décision rendue mercredi.

Lisez « La police blâmée par la Cour »

Au tribunal, la Sûreté du Québec n’a pas pu jouer à cache-cache très longtemps. Des officiers (actuels et retraités) ont dû témoigner sous serment. Des documents ont dû être déposés en preuve… Comme ce mystérieux rapport de la SQ qui faisait l’analyse du travail de la SQ, le soir du 4 septembre 2012.

C’est affligeant de bêtise : le rapport fait sept pages (!), il ne blâme pas la SQ (lol), aucun témoin n’a été rencontré pendant « l’enquête » (!), le signataire du rapport, Louis Bergeron, n’a pas pu certifier en cour avoir écrit tout le rapport (re-lol) et la SQ a commencé à enquêter sur le travail de la SQ… quatre mois après l’attentat (!).

J’ajoute que le juge a fait avouer à l’officier Denis Rioux, chargé d’écrire ledit rapport, qu’il s’en était fait dicter les conclusions (rires en canne, ici, encore) par son boss.

Avec le procès, on a compris pourquoi la Sûreté du Québec s’était tant battue pour le garder secret, ce « rapport » (l’utilisation des guillemets s’impose désormais) : c’est l’équivalent d’une recherche sur les animaux du zoo produite par un élève de 6année. Et on comprend pourquoi les avocats du Procureur général du Québec se sont tant battus pour le garder loin du juge, ce document : ça prouvait que la SQ avait été négligente.

Le juge note que le SPVM a une responsabilité dans la débâcle : le SPVM, par la voix d’un haut placé – Philippe Pichet, qui allait devenir chef de la police de Montréal trois ans plus tard –, avait promis à la SQ de faire l’évaluation des besoins des effectifs requis pour la protection du périmètre du Métropolis…

Ce qui n’a jamais été fait, note le juge.

Oui, le SPVM a fauté, mais c’est toujours bien la SQ qui était responsable de la sécurité de Pauline Marois qui avait été choisie, le 4 septembre 2012, pour former le gouvernement.

C’était à la SQ de s’assurer que le SPVM protégeait bel et bien le périmètre du Métropolis et d’exiger des renforts si ledit périmètre était mal protégé (il était mal protégé).

La SQ n’a rien fait de cela.

Il aura fallu dix ans pour que cet échec monumental soit reconnu noir sur blanc dans la décision méthodique et implacable du juge Philippe Bélanger de la Cour supérieure, qui n’a pas été dupe des écrans de fumée multipliés par les avocats du Procureur général et de la Ville de Montréal.

L’avocate Virginie Dufresne-Lemire a planté les avocats de la Ville de Montréal et du Procureur général du Québec qui étaient payés à même nos taxes pour défendre l’indéfendable.

Dix ans plus tard, permettez que je salue en vrac ceux qui ont permis à la SQ de commodément cacher son incompétence du 4 septembre 2012 : le directeur général de la SQ Richard Deschesnes (dégommé par le gouvernement péquiste en octobre 2012), son successeur Mario Laprise et l’ex-DG adjoint Jocelyn Latulippe, qui a donné le mandat de concocter ce « rapport ».

Lisez « Des conclusions dictées par l’état-major de la SQ »

J’ajoute l’ex-ministre de la Sécurité publique Stéphane Bergeron et le gouvernement péquiste, qui ont choisi de ne pas imposer à la SQ une nécessaire commission d’enquête publique sur le fiasco du Métropolis, pour…

Pourquoi, au juste ? On ne le saura jamais.

La SQ a-t-elle appris de sa débâcle du 4 septembre 2012 ?

Non.

Car pendant le procès, en avril, quatre mois avant le début de la campagne électorale des élections du 3 octobre dernier, Pierre Bertrand, responsable de la protection des dignitaires de la SQ, a témoigné : « Le plan de sécurité de base va être le même. […] La recette, c’est la même de 2012 à 2022. »

Question pour les élus québécois : êtes-vous certains d’être bien protégés ?

En terminant, permettez que je cite le paragraphe 124 de la décision du juge Philippe Bélanger : « Tous les demandeurs ont été surpris de constater l’absence de policiers à l’arrière de la salle de spectacle. Ghiringhelli témoigne à l’effet qu’il y avait des agents de la paix à l’extérieur du Métropolis lors de certains concerts, dont celui offert par l’artiste Prince à cette salle de spectacle… »

Dans la décision du juge Bélanger, c’est (littéralement) le détail qui tue.

1. Lisez « De la SQ au Secret Service »