Ce qui se passe à l’Université d’Ottawa m’intéresse toujours particulièrement : j’y ai fait mon bac et j’en conserve des souvenirs très heureux. Mais ces dernières années, j’ai souvent eu honte de mon alma mater. 

Dans la saga du mot commençant par un N, j’ai été déçu de voir comment le recteur Jacques Frémont a laissé la professeure Verushka Lieutenant-Duval se faire dévorer par les meutes numériques sans jamais dénoncer cette traque, déçu de constater comment elle a été condamnée par l’Université d’Ottawa sans même être entendue1

Il y a des débats à avoir sur le mot commençant par un N – je suis pour son utilisation extrêmement parcimonieuse – mais comme institution, il faut admettre que l’Université d’Ottawa a laissé tomber une de ses profs pour ne pas déplaire à des étudiants qui ont commodément confondu indignation et intimidation. Le recteur Frémont, lui, fut aux abonnés absents, se cachant bravement derrière son service des communications pendant l’essentiel de la crise. 

Et cette semaine, l’Université d’Ottawa s’est encore une fois retrouvée dans l’actualité pour les mauvaises raisons. Manchette de Radio-Canada, mardi : L’Université d’Ottawa est accusée de faire entrave à la liberté de la presse2.

Contexte : l’Université d’Ottawa avait invité l’ambassadeur de Chine au Canada, Cong Peiwu, pour une conférence. Mais juste avant ladite conférence, l’ambassadeur a demandé à ce qu’aucune image ne soit captée... 

Et de façon tout aussi stupéfiante que stupide, l’Université d’Ottawa a acquiescé à la demande de l’ambassadeur. 

Radio-Canada, encore : « Des journalistes de différents médias étaient sur place, quand tout d’un coup l’Université a accepté de se plier aux demandes de l’ambassadeur qui étaient d’interdire la présence de caméras dans la salle. Le caméraman de Radio-Canada s’est notamment fait montrer la porte… »

On croit rêver…

Mais l’ignominie commise par l’Université d’Ottawa avait un double fond ! 

Radio-Canada, encore : « De plus, l’Université a entrepris de baisser les stores afin de cacher la manifestation en soutien aux Ouïghours, qui se tenait au même moment à l’extérieur du bâtiment. »

Le recteur Jacques Frémont, qui était dans la salle au moment où ses employés se sont crus en République populaire de Chine en acquiesçant aux diktats de l’ambassadeur, a présenté ses excuses au nom de l’Université d’Ottawa, mardi, disant que l’institution avait « pris la mauvaise décision au dernier moment ». 

Bon sang que c’est court comme raisonnement. La « mauvaise décision au dernier moment » pue le manque de clarté morale. Vous accueillez en vos murs le représentant de la plus grande dictature du monde, l’ambassadeur d’un pays où ni le journalisme libre ni les manifestations sans crainte d’emprisonnement n’existent… 

Et vous vous pliez à des demandes semblables pour ne pas froisser l’ambassadeur de Chine ?! 

PHOTO DOMINICK GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE

Cong Peiwu, ambassadeur de Chine au Canada

Mardi, une porte-parole de l’Université d’Ottawa a fait savoir que si l’institution avait refusé d’accéder aux demandes de Cong Peiwu – permettez que je cite l’article de La Presse –, cela « aurait mis l’évènement en péril »…

Comme on dit à Ottawa U : « So what ! »

Si l’ambassadeur de Chine avait quitté les lieux, l’Université d’Ottawa aurait été félicitée pour sa droiture et son refus de céder aux caprices d’un agent d’une dictature sanguinaire. 

Que le gouvernement du Canada pèse chacun des mots exprimés par ses ministres, fonctionnaires et communiqués en ce qui concerne la Chine, je peux parfaitement comprendre : la Chine est un État-voyou qui utilise sans vergogne les prises d’otage et la vengeance économique quand un petit État comme le Canada ne ménage pas suffisamment ses susceptibilités. 

Mais qu’une université sur le sol canadien fasse des courbettes pour accommoder l’ego fragile de la Chine comme l’Université d’Ottawa l’a fait lundi avec l’ambassadeur Cong Peiwu, c’est une manifestation de lâcheté institutionnelle épouvantable. Surtout quand on sait qu’en Chine, des manifestants jouent leur peau en défiant le régime et son idéologie zéro COVID-19. 

Mais allons plus loin, une seconde… 

Pourquoi des institutions comme l’Université d’Ottawa acceptent-elles même d’accueillir des représentants d’un État dictatorial comme la Chine en ses murs ? 

Les ambassadeurs chinois – comme les ambassadeurs russes – ne font que colporter des mensonges d’État. Quand Cong Peiwu parle, il relaie les mensonges et les délires officiels de Pékin. 

Pourquoi l’inviter, pourquoi l’écouter ? 

Car au-delà des compromissions de l’Université d’Ottawa pour accommoder le diplomate Cong Peiwu, c’est le fait même qu’il soit invité à l’Université d’Ottawa qui devrait poser problème. C’est le fait même qu’il soit invité par la société civile n’importe où au Canada qui pose problème, comme s’il s’agissait d’un interlocuteur comme un autre… Ce qu’il n’est pas.  

Il y a 12 ans, l’agitatrice d’extrême droite américaine Ann Coulter n’a pas pu prononcer une conférence à l’Université d’Ottawa parce que 2000 étudiants s’étaient mobilisés contre sa présence sur le campus3. Je note qu’en 2022, les manifestants ne sont manifestement (!) pas assez nombreux à l’Université d’Ottawa pour empêcher le représentant d’une dictature de venir faire son petit boniment sur le campus... 

Rappelons qu’en plus d’emprisonner nos ressortissants de façon arbitraire pour exprimer sa colère contre l’État canadien4, la Chine s’immisce dans nos élections5 et exploite des postes de police informels et secrets au Canada6 pour harceler les Canadiens d’origine chinoise…

Et l’Université d’Ottawa fait des courbettes serviles pour accommoder l’ambassadeur de ce pays-là ? 

Comment on dit « Wow ! » en mandarin ?

Il y a 30 ans de cela, chaque automne, les étudiants de l’Université d’Ottawa participaient à une sympathique activité de financement, Shinerama. Shine, comme dans « faire briller » les souliers des passants, au centre-ville d’Ottawa, en échange de quelques sous. 

Oui, il fallait s’agenouiller pour cirer les souliers des passants, mais c’était pour une noble cause, celle de la recherche contre la fibrose kystique…

Trente ans plus tard, l’Université d’Ottawa fait sa propre version de Shinerama et s’agenouille devant l’ambassadeur de Chine pour lui cirer métaphoriquement les chaussures. 

Ça n’a rien de noble. 

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